29 mai 2008

Milou en mai


Le mois de mai 2008 s’achève.

L’anniversaire des « événements » a permis de célébrer, de débattre, de dénoncer, de mettre en perspective ces quelques semaines d’il y a quarante ans.

Mais le plus beau témoignage de cette parenthèse enchantée et jamais tout à fait refermée de notre histoire commune reste, pour moi, le film tourné par Louis Malle en 1990, « Milou en mai ».

Milou est un quinquagénaire hédoniste qui vit isolé à la campagne, avec sa mère, dans une belle et grande propriété familiale. Il partage son temps entre la pêche aux écrevisses, sa cave à vin, et l'apaisante sensualité de sa jeune gouvernante. Comme il le dit à ses rares visiteurs : il a décidé d'être heureux parce que c'est bon pour la santé...

Nous sommes en mai 1968, le printemps est magnifique, et l'écho de la révolte parisienne n'arrive que très assourdi aux oreilles de Milou. Pourtant ce matin-là, tout bascule : la vieille mère meurt et la tribu familiale pourtant très dispersée rapplique pour les obsèques, des calculs d'héritage plein la tête.

Avec la famille, c'est aussi la bourrasque sociale de Mai qui s'engouffre dans la paisible demeure. De la fille coincée au neveu qui compte avec délectation ses cicatrices made in Quartier Latin, du frère journaliste d'une gauche officielle dépassée et timorée à la nièce homophobe et faussement libre, ce n'est plus une famille mais un échantillon de la société française qui apprend Mai 68 à un Milou bienveillant et amusé.

La crise s'aggrave dans ce petit coin de France, au point que même les pompes funèbres s'arrêtent de fonctionner. La famille se retrouve bloquée dans une maison au rez-de-chaussée de laquelle repose, toujours impérial et encombrant, le cadavre de la vieille dame.

Mais l'esprit de Mai 68 va peu à peu transformer ce qui était un face-à-face sordide sur fond de partage des dépouilles de la morte, en une sorte de communion païenne, un "Huis clos" libérateur où les autres ne sont plus l'enfer...

On se regarde, on se parle, on s'écoute.

Le temps d'un déjeuner sur l'herbe, on échange un joint, on parle de l'avenir, on rêve à un monde de partage.

Les couples se font et se défont.

Sous les pavés la plage, sous l'héritage l'amour.

Milou séduit sa belle-soeur, organise une folle farandole autour du lit de sa mère et, par-dessus tout, arrive à sauver la maison familiale du dépeçage et de la vente souhaités par les héritiers charognards.

Milou et Mai.

Milou en Mai.

Tout devient possible. Tout est possible.

Tout est possible mais rien ne se fera : De Gaulle revient de Baden-Baden, Debré défile avec le parti de la peur sur les Champs-Elysées, les ouvriers rendent leurs usines et les étudiants leurs rêves. Après une fuite paranoïaque dans les collines avoisinantes, les héritiers se partagent vaisselle et meubles d'une maison qui sera vendue.

Tout est dit.

Peut-être pas tout.

Pendant ces quelques heures, Milou a beaucoup appris. Désormais seul et en sursis dans la grande propriété, il va violemment prendre à parti un voisin industriel qui, profitant de la pagaille ambiante, a pollué la rivière à écrevisses.

Etre en bonne santé n'est plus suffisant pour Milou. Il sait désormais qu'un monde nouveau est à portée de main. Grâce à Mai 68.

Coup de gueule partagé sur le blog de Dominique.

28 mai 2008

Sous les pavés, Trimages


C’est effectivement dans la salle digne de Cinéma Paradisio du théâtre Trimages que l’association ALED (association laïque pour les élèves en difficultés) de notre ami Paul Vautel organisait un débat sur le thème « Mai 68 : qui veut liquider l’héritage ». Certainement pas Robert Charvin, mon ancien prof de droit public, Clément Stora, prof de philo et moi-même qui avions été sollicités pour lancer le débat.

Je n’ai pas connu Mai 68 car, adolescent, j’étais hospitalisé au centre Lacassagne pendant les semaines les plus chaudes des événements. Ce qui ne m’empêchait pas le soir, sous les draps, d’écouter sur Europe n°1 la progression des barricades rue Gay-Lussac ou sur le Boul’Mich.

Devant une salle où je reconnais beaucoup de visages amis, la prise de parole va me permettre de mettre au clair – au moins pour moi – ce que je pense de ces événements si loin, si proches.

Tout d’abord en rappelant que c’est Sarkozy, à Bercy, le 29 avril 2007 qui a exhorté les Français à expier Mai 68… en l’élisant à la Présidence de la République. Ensuite, en citant Wolinski, car un peu d’autodérision ne peut pas faire de mal : « Nous avons fait 68 pour ne pas devenir ce que nous sommes devenus ». Enfin, en soulignant que Mai 68 n’est pas une rupture mais une réflexion, une pause dans une société en pleine mutation : une société qui s’ennuie (édito de Pierre Viansson-Pontet dans le Monde), une société qui s’interroge (« Sommes-nous heureux ? »).

Mai 68, c’est, au milieu des trente Glorieuses, un moment d’intense communion, la fusion entre l’intime et le social et, par-dessus tout, le sentiment que tout est possible… Ce qui est, par définition, parfaitement impossible puisque personne ne veut la même chose.

Les conséquences de ces quelques semaines de « fraternisation généralisée » (Morin) sont plus nuancées.

Ainsi, c’est Mai 68 qui est à l’origine de la rupture entre la gauche officielle (notamment le PS), investie par les soixante-huitards, et les ouvriers, considérés par les premiers comme traîtres à la Révolution depuis Grenelle. Une attitude qui fera le lit du FN et de Sarkozy (à bas 68, vive Jaurès, Blum, Môquet, les vrais défenseurs de la classe ouvrière, c’est nous…).

Peut-être est-ce aussi le Mai 68 de l’individualisme libertaire – « Jouissez sans entraves » - qui a accéléré l’évolution libérale de nos sociétés ? Mais cette collusion « entre l’individualisme jouissif et le capitalisme fondé sur la consommation effrénée… » (Régis Debray) est loin d’être établie. Ou infirmée. La question reste largement ouverte.

C’est Mai 68 qui nous a aussi appris à critiquer le progrès ou du moins une certaine forme de progrès, à l’initiative même du camp progressiste. Et qui a permis, par exemple, l’avènement d’une conscience écologiste.

Mais, quelles que soient les conséquences, quel que soit le bilan, comment ne pas être en symbiose avec cette période de notre histoire commune où l’on affirmait : « Nous ne voulons pas d’un monde où la certitude de ne pas mourir de faim s’échange contre le risque de mourir d’ennui » ?

25 mai 2008

La classe de Sean Penn

François Bégaudeau et ses élèves, dans "Entre les murs"

A l’évidence, Sean Penn aime un cinéma en prise avec le réel. Le palmarès de son jury est donc logique. Il a sa cohérence et honore des films de grande qualité (prix du scénario : Le silence de Lorna ; prix du jury : Il divo ; interprétation féminine : Linhea de passe). Même Gomorra, Grand prix du Jury, et Les trois singes, qui ne figuraient pas dans mes premiers choix, ont tout à fait leur place dans le palmarès.

La Palme d’or à « Entre les murs » de Laurent Cantet, est une vraie surprise qui est aussi une bonne surprise, car ce film est beau, ce film est humain, et en plus, n’en doutons pas, ce film sera aussi utile.

Pourtant, l’audace de ce choix n’arrive pas à me faire oublier celui qui aurait été ma Palme d’or, le magnifique « Palermo shooting » de Wim Wenders. Mais je n’étais pas Président du jury. Cela dit, je veux bien l’être l’année prochaine !

Dennis Hopper et Campino dans "Palermo shooting"

600 marches pour Wim Wenders

Wim Wenders et l'équipe de "Palermo shooting", à l'issue de la projection (Photo DBM)


En franchissant la 600e marche (25 fois 24 marches, le compte y est), nous ressentons une petite morsure au cœur en constatant que l’aventure 2008 du Festival s’achève pour nous avec la projection officielle du film de Wim Wenders.

En réalité, deux heures après, ce sentiment sera largement compensé par le bonheur d’applaudir pendant près d’un quart d’heure, avec l’ensemble de la salle enthousiaste, le plus beau film de la compétition.

En fait, la journée avait commencé bien plus tôt, dès la matinée, avec la projection de deux films.


Entre les murs, de Laurent Cantet (France)

Un peu lassé par les films de « quartiers » (qui ont tendance à devenir un genre à part dans le cinéma français), c’est presque à reculons que je me suis rendu au Palais dès potron-minet pour voir le film de Cantet. Eh bien, je l’avoue, j’avais tort. Cette histoire simple de prof face à sa classe dans un collège des quartiers populaires de Paris est un film rare. Sans paternalisme, sans démagogie, en évitant les pièges de la caricature et du politiquement correct, ce film est, à travers le portrait de François ( François Begaudeau), jeune prof de français, une formidable réhabilitation du métier d’enseignant si souvent critiqué.

On y voit un homme passionné mais lucide qui expérimente, qui tâtonne, qui essaie de faire au mieux, face à des élèves fragiles à la personnalité beaucoup plus complexe que pourrait le laisser supposer leur arrogance de façade. C’est souvent drôle, parfois poignant, jamais facile. Et, en ce qui me concerne, comment ne pas penser pendant toute la séance aux enseignants de « mon » collège Vernier…


Le bon, la brute et le cinglé, de Kim Jee-Woon (Corée du Sud)

Ce film hors compétition est un remake improbable du film de Sergio Leone dans les plaines de… Mandchourie. Les paysages sont magnifiques, les poursuites infernales et, à la fin, on peut dénombrer environ trois mille morts. Exotique.



Et puis, après une après-midi niçoise pour cause de correction de copies, ce fut le grand soir.

Rendez-vous à Palerme (Palermo shooting), de Wim Wenders (Allemagne)

Photographe de renommée mondiale, Finn n’aime plus sa vie. Pour en changer, il s’envole vers Palerme. Dans cette ville si belle dont il essaie de percer les secrets en la photographiant, une nouvelle vie s’offre à lui grâce à Flavia, une jeune artiste peintre dont la simplicité est à des années lumières de la sophistication des modèles qu’il fréquente habituellement. Mais, paradoxalement, il ne pourra goûter à cette nouvelle vie qu’après s’être confronté à la Mort dont Palerme est la ville matrice. Ce face-à-face singulier lui permettra de comprendre, après quelques péripéties, que la grande faucheuse (qui d’ailleurs se révèle être un homme : fabuleux Dennis Hopper) n’est pas celle que l’on croit et qu’au lieu de la craindre, on ferait bien de l’aimer car c’est elle qui donne son vrai sens à la vie.

Avec Palermo shooting, Wenders retrouve la grâce des « Ailes du désir », en évoquant, avec cette poésie qu’on lui connaît, ces questions si graves qui pèsent si lourdement sur nos consciences et dans nos cœurs.

Emotion personnelle supplémentaire : une partie de la musique originale du film a été composée et jouée (à l’accordéon) par mon ami Serge Ferrara. C’est donc tout naturellement à lui qu’après la standing ovation à Wenders, Hopper, Campino et Milla Jovovich, je téléphonerai mon dernier message cannois de l’année. Un message d’amitié et de félicitations bien sûr.


MES PRÉFÉRENCES


Avec le dernier générique vient aussi l’heure du bilan. Si on met de côté quatre films hors compétition, ce sont 21 des 22 films de la sélection officielle que nous avons visionnés. Seul manque à l’appel « Che » de Steven Soderbergh. Sur ces 21 films, histoire de me « mouiller » avant le verdict du jury, je propose aux lecteurs de ce blog une liste préférentielle de cinq titres :

1 – Palermo shooting, évidemment…

2 – Le silence de Lorna, même si une troisième palme pour les frères Dardenne, c’est peut-être beaucoup pour le jury…

3 – Entre les murs, même si le système franco-français risque d’être un peu abscon pour un jury international.

4 – Two lovers, au risque d’être en froid avec la conseillère générale du 7e canton…

5 – Leonora (même remarque que précédemment).

Voir notre album photos du Festival ici.

23 mai 2008

Il divo

Photo PM

A l’amorce de la dernière ligne droite, il se confirme, de film en film, que 2008 ne sera probablement pas un très grand festival.


La frontière de l’aube, de Philippe Garrel (France)

Le premier film français fut une déception, le second est un naufrage. Cette histoire d’amour qui se transforme en histoire de fantôme est d’une prétention absolue. Seul le copinage peut expliquer la sélection d’un film aussi vain. A oublier.


Adoration, d’Atom Egoyan (Canada)

Un adolescent orphelin réinvente sa vie pour solder quelques comptes avec son passé. C’est avec plaisir qu’on retrouve avec « Adoration » l’Atom Egoyan des années 90, celui des histoires complexes où le miroir d’Alice est remplacé par les NTIC.


Synecdoche New York, de Charlie Kaufman (USA)

La première demi-heure est jouissive : le portrait de Caden Cotard (Philip Seymour Hoffman), homme de théâtre atrabilaire en pleine déroute sentimentale et physique est hilarant et rire pendant ce festival, c’est toujours bon à prendre. Puis, pendant l’heure et demie qui suit, les choses se gâtent avec un embrouillamini sur le théâtre, reflet de la vie, à moins que ce ne soit le contraire. On peut donc conseiller à Kaufman, dont c’est le premier film, de s’essayer au court-métrage ! (Synecdoche, en français « synecdoque » est une figure rhétorique qui consiste à désigner un tout en nommant une partie).


Il divo, de Paolo Sorrentino

Un très beau portrait psychologique – encore qu’à la limite de la caricature – du « pape » de la démocratie chrétienne, Giulio Andreotti. Une belle méditation sur le pouvoir pour le pouvoir. Au milieu des certitudes et de la morgue, quelques fêlures qui sont autant de paillettes d’humanité. Et la confirmation qu’avec la présence du Vatican et de la mafia, la démocratie italienne ne sera jamais tout à fait semblable à ses voisines européennes.

« A l’exception des guerres Puniques, j’ai été accusé de tout ce qui s’est passé en Italie… Mais je n’ai jamais porté plainte. Et ce, pour une simple raison, j’ai le sens de l’humour. J’ai aussi autre chose : de nombreuses archives vu que je n’ai guère d’imagination. Et chaque fois que je parle de ces archives, ceux qui doivent se taire, comme par enchantement, se taisent » (Giulio Andreotti).


My magic, d’Eric Khoo (Singapour)

Hector Malot à Singapour. Abandonné par sa mère, un jeune enfant de dix ans est devenu le père de son père alcoolique et obèse. Mais, miné par le remord, ce dernier décide de renouer, par amour pour son fils, avec son ancien métier : magicien… Encore un beau film pour la Quinzaine des Réalisateurs. A noter qu’à l’issue de la projection, le gargantuesque acteur Francis Bosco, s’est livré à quelques tours de magie (enflammant tour à tour ses mains et son portefeuille) pour le plus grand plaisir du public bon enfant de l’amphithéâtre Lumière.

22 mai 2008

Donnons une chance à la réforme

C’est sous ce titre que dix-sept députés socialistes dont Manuel Valls et Jean-Christophe Cambadélis (Arnaud, où es-tu ?) ont publié un texte expliquant pourquoi il faut, selon eux, que le PS adopte la révision constitutionnelle présentée par le gouvernement.

Ils ont raison. Ils réalisent en fait le « coming out » institutionnel que j’appelais de mes vœux dès le 26 avril dans ce blog.

Si le texte proposé est largement perfectible, il n’en demeure pas moins un compromis acceptable et même souhaitable.

Je pense notamment à cette réforme fondamentale qui permettrait à n’importe quel justiciable-citoyen de saisir le Conseil constitutionnel, réforme si importante que je n’avais pas hésité à la qualifier de porte ouverte vers une VIe République.

Si l'on ajoute à ce progrès indéniable quelques avancées en matière de rééquilibrage des institutions en faveur du Parlement (même si sur ce thème je suis moins optimiste que les dix-sept) et l’esquisse d’un statut de l’opposition, il n’y a pas de raison de s’opposer à cette révision. A moins de renouveler l’erreur du non à la Constitution européenne où, pour dénoncer un texte qui n’allait pas assez loin, on a permis l’adoption, dans l’indifférence générale, d’un teste beaucoup plus édulcoré après trois ans de blocage.

Parlementaire, c’est avec enthousiasme que j’aurais ajouté une dix-huitième signature au texte de ceux qui veulent « donner une chance à la réforme ».

21 mai 2008

Two lovers

Quatre nouveaux films en ce milieu de festival

Two lovers, de James Gray (USA)

Leonard Kraditor, jeune homme un peu enveloppé (Joachim Phoenix), est suicidaire. Entre deux tentatives, il joue les Tanguy chez papa-maman, un couple de commerçants juifs new-yorkais. Les hasards de la vie lui permettent de rencontrer simultanément deux femmes très différentes : la douce, sage et compréhensive Sandra, et l’imprévisible, fantasque et un brin déséquilibrée Michelle. Entre les deux, entre la tradition (Sandra est juive) et la rupture (Michelle est une fille de famille déchue), son cœur balance. Pas longtemps, car c’est finalement la vie qui choisira pour lui. L’histoire ne casse pas trois pattes à un canard, mais les trois personnages sont extrêmement attachants. Et puis, ne serait-ce que pour voir Isabella Rosselini en mère juive…


Changeling (L’échange), de Clint Eastwood (USA)

A Los Angeles dans les années 30 (magnifique plan introductif de la ville reconstituée), un enfant de neuf ans disparaît. Quelques mois plus tard, la police croit le restituer à la mère mais celle-ci affirme haut et fort que cet enfant n’est pas le sien. Les autorités refusent de la croire et préfèrent faire interner la mère plutôt que rechercher le véritable disparu pour ne pas admettre leur erreur. Cette histoire hallucinante, adaptée d’un fait réel, est fort bien racontée par Clint Eastwood. Le contexte social et politique est également bien rendu. Deux réserves toutefois : l’interprétation d’Angelina Jolie est trop stéréotypée (au passage, comment ne pas noter le mal que la chirurgie esthétique fait à la lèvre inférieure des actrices…) et le film est un peu trop long, surtout dans la dernière partie, ce qui nuit à son efficacité.


Delta, de Kornél Mundruczó (Hongrie)

Drame paysan dans le labyrinthe de voies navigables, d’îlots et de végétation luxuriante d’un delta hongrois du Danube. Un labyrinthe qui coupe la population locale du reste du monde.

Un frère et une sœur quelque peu incestueux ont décidé de construire une maison bien à eux à l’écart de leurs voisins abrutis par l’alcool et la bêtise. Mais « les brav’s gens n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux » et tout cela va se terminer très mal. Comme on comprend l’inéluctable drame final dès le début du film, le spectateur est forcément mal à l’aise et j’ai personnellement eu la tentation de partir en cours de projection plusieurs fois. C’eût été dommage car Delta a, lui aussi, la sobriété et la beauté d’une tragédie grecque (Electre ?). Et au final, j’étais très heureux d’applaudir, avec tout l’amphithéâtre Lumière, l’équipe du film, très émue par l’accueil des festivaliers.


La femme sans tête, de Lucretia Martel (Argentine)

Quinquagénaire, bourgeoise et Argentine, Veronica heurte quelque chose ou quelqu’un avec sa voiture en rentrant chez elle, après une de ces journées de bavardage et de vide qu’elle semble affectionner. Sans chercher à savoir, elle poursuit son chemin et reprend sa vie futile. Mais c’est compter sans le remord qui s’installe peu à peu…
Le sujet, on le voit, ne brille pas par son originalité, mais son traitement formel est intéressant. Lucretia Martel filme son héroïne quasiment en caméra subjective. Ainsi, les autres protagonistes semblent fondus dans le décor et l’évolution psychologique de Veronica donne l’impression d’être traitée par un microscope dont le spectateur serait l’opérateur. Pourquoi pas un prix de mise en scène ?

Sur l'écran, l'actrice de Delta, Orsi Tóth

19 mai 2008

Le silence de Lorna

Pour chaque individu, il y a toujours un moment de grâce où l’humanité prend le dessus sur l’animalité. En tout cas, à l’instar des frères Dardenne, il faut le croire. Lorna, la nouvelle héroïne des réalisateurs belges – déjà deux fois palmés d’or – est une jeune albanaise prête à tout pour réaliser son rêve en carton-pâte : être propriétaire d’un petit snack en Belgique avec son amoureux compatriote.

Pour cela, elle a consenti à un premier mariage blanc lui donnant la nationalité belge et elle en envisage un second pour donner cette même nationalité à un Russe. Mais surtout, sa détermination est telle qu’elle est prête à tuer… Et puis, en croisant le regard de sa pauvre victime (le premier mari dont la mort est programmée), la machination dont elle est la pièce maîtresse lui fait brusquement horreur et tout bascule. Pour sauver l’homme qui devait disparaître pour assurer son avenir, elle va s’opposer, avec une bonne dose d’inconscience, au milieu albanais, à la mafia russe, et même à ce fiancé qui avait justifié ce projet insensé. On se souviendra longtemps du visage d’ange-démon de Lorna (Arta Dobroshi), la putain devenue sainte. Au-delà de la rédemption de l’héroïne, le film est également une remarquable métaphore sur les rapports ambigus de l’Europe de l’Est avec l’Europe de l’Ouest. Il n’est donc pas seulement émouvant, il est aussi, avec ses différents niveaux de lecture, d’une grande richesse.

Alors, jamais deux sans trois pour les frères Dardenne ?

La juxtaposition des nombreuses copies de fin d'année à corriger avec le début des oraux contribue à réduire notre rythme de festivaliers. Mais avec Le silence de Lorna, ce sont quand même trois autres films que nous avons pu voir entre dimanche et lundi


Gomorra, de Matteo Garrone (Italie)

Un quasi-documentaire de deux heures quinze sur la gangrène de la société opérée par la Camorra et les surprenantes fiançailles entre ce système archaïque et la si sophistiquée économie de marché mondialisée.

Chez Garrone, on est loin des ambiguïtés aimables de Tony Soprano. Tout est laid, gluant et mortifère. La réalisation, à la fois classique et austère peut toutefois laisser le spectateur sur le bord du chemin s’il n’est pas particulièrement concerné par le sujet.


Serbis, de Brillante Mendoza (Philippines)

Encore une histoire de famille. Les Pineda s’engueulent, se jalousent, s’aiment comme une famille à peu près normale. Si ce n’est qu’ils gèrent une espèce de théâtre/cinéma/peep-show pour gays. De la confrontation des deux univers naît un film plutôt insolite qui, lui aussi, aurait peut-être plus eu sa place dans une sélection parallèle.

Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal, de Steven Spielberg (USA)

Tatatata–tatatan chante le public dès le générique. Après Indiana Jones et son père dans l’opus 3, Indiana et son fils dans l’opus 4. A l’évidence, pas le meilleur, mais bon… tatatata-tatatan…

Harrisson autrement...!

Il fallait présenter le raton-laveur…

Qu’on me pardonne ce titre quelque peu provocateur à propos des résultats de l’élection législative partielle dans la 5ème circonscription des Alpes-Maritimes, titre qui renvoie en fait au post écrit à ce sujet il y a quelques jours.

C’est que dans cette circonscription, qui fut en son temps détenue par la gauche, le résultat du candidat de la Fédération du PS, Paul Cuturello, est particulièrement affligeant. A un moment où la France du travail est dans la rue, où non seulement le Président de la République mais aussi le Premier Ministre battent des records d’impopularité, le score candidat du PS est en retrait de… 40% par rapport à celui de la droite (20,7 contre 61) et seule la participation empêche le candidat de droite d'être élu au premier tour (moins de 25% des électeurs inscrits). Ce résultat est d’autant plus négatif qu’il n’y avait pas de candidat des Verts, pas de candidat d’extrême gauche, pas de candidat du MoDem, que la candidature du PC était de pur témoignage (les maires de la circonscription n’étaient pas candidats) et que Cuturello bénéficiait du soutien du PRG et du MDC… ainsi que de celui de l’appareil national (Congrès oblige, un dirigeant national a même fait le déplacement dans la semaine).

En fait, ce résultat s’inscrit dans la continuité du fiasco des municipales niçoises qui avaient vu la liste Allemand arriver en troisième position au 1er tour. Au moment où se profile à l’horizon la partielle dans le 12e canton, la descente aux Enfers n’est probablement pas achevé. En effet, non seulement la Fédération du PS et son Premier secrétaire refusent de se remettre en question (cumul des mandats, alliance avec la droite à Nice), mais elle est tout simplement en train de préparer… une nouvelle charrette d’exclusions… Etonnant non ? comme aurait dit le regretté Pierre Desproges.

17 mai 2008

Vicky Cristina Barcelona

Gorgé de charme et de sensualité, le nouveau film de Woody Allen, longuement applaudi, a fait la conquête d’un festival qui se croyait condamné cette année aux sujets graves et dramatiques.

Deux jeunes américaines : Cristina, la blonde (Scarlett Johansson), et Vicky, la brune (Rebecca Hall), passent l’été sous le soleil de Barcelone. La première est une jeune femme sérieuse sur le point de se marier avec un golden boy ; la deuxième est délurée et ne sait pas exactement ce qu’elle veut, même si elle affirme savoir ce qu’elle ne veut pas. Un jour, au restaurant, elles sont abordées un peu cavalièrement par Juan Antonio (Javier Bardem), un peintre séduisant et viril. Il va s’en suivre un chassé-croisé amoureux, pimenté par le retour inopiné de l’ex-épouse du Monsieur, la volcanique Maria Elena (Penelope Cruz). Cette… triple histoire d’amour nous suggère qu’entre les hommes et les femmes les relations ne sont pas toujours facile mais qu’au final, cela n’a pas beaucoup d’importance parce qu’il ne faut en garder que le meilleur. Avec légèreté.

Et c’est ainsi que Woody Allen qui, pour une fois, a laissé de côté le lourd attirail de tonton Sigmund, nous offre ce qui sera, avec la patine du temps – j’en prends le pari – un des plus beau rôle d’amoureux romantique du cinéma.

Enfin, quel plaisir de voir Vicky et Cristina batifoler sur la terrasse de la casa Batllo, celle-là même où avec Dominique nous avions passé une partie de la soirée de la dernière Saint-Sylvestre.

Le film de Woody Allen étant hors compétition, deux autres films étaient en course aujourd’hui pour la palme.

Linha de passe, de Walter Salles (Brésil)

Probablement le meilleur des quatre films brésiliens que j’ai eu le plaisir de voir au cours de ces dernières semaines.

Au cœur de la monstrueuse mégapole de Sao Paulo, quatre frères, nés de pères différents, essaient de survivre chacuns à leur façon. Le plus jeune veut à tout pris retrouver son père, Dario rêve d’être footballeur professionnel, Dinho est devenu évangéliste, et Denis, l’aîné déjà père de famille, flirte avec la délinquance. Malgré tous leurs efforts et ceux de la mère, admirable de dignité et de dévouement, l’avenir reste désespérément bouché pour la fratrie. Un film émouvant qui, toutefois, pousse plus le spectateur à la résignation qu’à la révolte.

24 City, de Jia Zhangke (Chine)

La ville de Chengdu avant et après la fermeture de l’usine 420 : une succession de témoignages sous forme documentaire qui démontre que la nostalgie industrielle ne touche pas que la Meurthe-et-Moselle. Le résultat est honorable, même si le film aurait eu plus sa place dans une sélection parallèle.

Bande annonce de Vicky Cristina Barcelona

16 mai 2008

Family life

De l'intérieur du Palais...


On se souvient tous de la première phrase du roman de Tolstoï, Anna Karenine : « Les familles heureuses se ressemblent toutes, les familles malheureuses sont malheureuses chacune à leur façon… ». En ce vendredi cannois pluvieux, ce sont deux histoires très différentes de deux familles malheureuses qui nous sont proposées en sélection officielle.


Un conte de Noël, d’Arnaud Desplechin (France)

La famille Vuillard appartient à la bourgeoisie roubaisienne (décidément, les Ch'tis sont à la mode !). La mère, Junon (Catherine Deneuve), est condamnée par une maladie en principe incurable sauf si elle bénéficie rapidement de la greffe d’un proche.

Cette recherche du sauveur va se faire au moment du regroupement familial des fêtes de Noël. Autour d’Elisabeth (Anne Consigny), l’aînée rancunière, et d’Henri (Mathieu Amalric), le fils maudit et d’une dizaine de personnages, va se développer un chassé-croisé hystérique qui fera remonter à la surface tous les secrets et toutes les rancoeurs de cette famille pas comme les autres. C’est long (deux heures trente), bavard, et un tantinet prétentieux. A recommander à ceux qui râvent d’assister en direct live à une greffe de moelle osseuse (un régal !).


Les trois singes, de Nuri-Bilge Ceylan (Turquie)

Autant la famille de Desplechin est bavarde voire saoulante, autant celle de Ceylan est taiseuse…

Le père accepte d’endosser la responsabilité d’un accident mortel causé par son patron, un politique sans scrupule. La mère profitera du séjour en prison de son époux pour le tromper avec ledit patron. Le fils, plutôt molasson jusque-là, va finir par assassiner celui par qui sont arrivés tous les malheurs de la famille.

Dans un premier temps, on est un peu désarçonné par la lenteur de la réalisation et les ellipses du scénario, puis on s’habitue. Et on se prend à parer Les trois singes des oripeaux de la tragédie grecque. Ce qui, vous l’admettrez, est audacieux pour un film… turc !

15 mai 2008

Richie Havens lance le 61ème

Photo Dominique Boy-Mottard
Les reconnaissez-vous ?


Richie Havens, l’homme de Woodstock, fait partie de ces chanteurs qui continuent à hanter nos légendes intimes et à nourrir notre nostalgie tout en nous persuadant qu’ils ne sont plus de ce monde depuis bien longtemps.

Miracle de Cannes : la cérémonie d’ouverture du 61ème FIF nous a ressuscité Richie Havens qui, pour l’occasion, a chanté « Freedom » avec sa voix si caractéristique, en l’honneur du bad boy – good politic – Mister Président, Sean Penn.

Ce moment de grâce bien vite évaporé, il nous restait à entrer de plain-pied dans la compétition avec :

Blindness, de Fernando Meirelles (Brésil)

Une ville (Sao Paulo ?) est frappée par une épidémie de cécité qui se propage à une vitesse fulgurante. Mis en quarantaine puis livrés à eux-mêmes, les contaminés s’efforcent de survivre à n’importe quel prix. Pour Sartre, être sous le regard des autres c’est l’enfer, y échapper, pour Meirelles, ce n’est pas beaucoup mieux…

La mise en scène est efficace (insoutenable séquence de viol collectif), mais on reste un peu en retrait par rapport à une histoire dont on ne comprend pas vraiment la signification profonde. Métaphore il y a, incontestablement, certainement. Mais, au fait, quelle métaphore ?


Après ce film d’ouverture décevant, la première journée sera nettement plus intéressante. De toute façon, la première journée, c’est aussi l’occasion de retrouver Michel Dubreuil et ses potes : vingt ans de complicité festivalière, ça compte !

Leonera, de Pablo Trapero (Argentine)

La vie n’a pas été tendre avec Julia. Abandonnée par sa mère (Elli Medeiros), exploitée et humiliée par ses copains, elle est accusée du meurtre du père de l’enfant qu’elle porte. Incarcérée, elle va donner naissance à un petit Thomas. Sa mère et la société veulent lui enlever son enfant. Et là, tout bascule : notre dentellière argentine, qui traînait sa vie comme un boulet, va utiliser son instinct maternel pour reconquérir son destin.

Yeux embués et émotion garantie. Le personnage de Julia, par sa dignité et sa détermination dans l’adversité, n’est pas sans rappeler Otilia, la jeune Roumaine héroïne du film palmé l’an dernier. Un bon présage ?


Tokyo !, de Michel Gondry, Leos Carax, Bong Joon Ho (France-Japon)

Petite incursion salle Debussy pour le lancement de la sélection « Un certain regard ». Ce film regroupe en fait trois séquences réalisées par trois auteurs différents et prenant comme décor la ville de Tokyo. Jubilatoire. Deux petits contes urbains et une énorme farce.

« Intérieur design », de l’Anglais Michel Gondry, est l’histoire très poétique d’une jeune fille si effacée, si transparente aux yeux des autres, qu’elle décide de se transformer… en chaise pour être utile.

« Shaking Tokyo », du Coréen Bong Joon Ho, raconte les amours difficiles de deux cloîtrés volontaires qui refusent de sortir de chez eux.

« Merde », de Leos Carax : le premier éclat de rire de ce festival qui s’annonce bien sombre. Un monstrueux et répugnant marginal un brin nippophobe (Denis Lavant) sème la terreur dans toute la ville de Tokyo. Un avocat français (Jean-François Balmain), qui arrive à parler le même dialecte que lui, vient lui prêter main-forte. La fin est tragique : Merde (oui, c’est le nom du « héros ») sera pendu. Mais on s’en fout un peu parce que Leos Carax nous promet une suite à la fin de la séquence.


Valse avec Bashir, d’Ari Folman (Israël)

Un film d’animation-documentaire, autant dire que ce film israélien est un OCNI (objet cinématographique non identifié). Des soldats israéliens essaient de décrypter leurs névroses nées de la guerre du Liban à laquelle ils ont participé au début des années 80. Avec, en point d’orgue, les massacres de Sabra et Chatila.

L’option choisie (animation + documentaire) pouvait se révéler un peu vaine. En réalité, elle est extrêmement efficace. Le graphisme un peu statique nécessite quelques minutes d’adaptation, mais on est très vite subjugué, au-delà de sa beauté formelle, par la vérité du film.

Quand une production aussi honnête et aussi courageuse sera produite par un pays arabe, nous ne serons pas loin de la Paix Maintenant.




Les reconnaissez-vous...?!

13 mai 2008

Le printemps de Belgrade


Alors que l’absence de l’Europe au Moyen-Orient contribue à la vassalisation du Liban par les islamistes à la solde de Téhéran (exactement comme vous l’avions dénoncé, il y a deux ans, au moment de l’offensive israélienne), une politique tardive mais volontariste de l'Union Européenne est en train de redresser une situation pourtant très compromise dans l’ex-Yougoslavie.

En effet, les signaux positifs envoyés par Bruxelles ces derniers jours (accords de" stabilisation et d'association") ont grandement contribué à la victoire du parti Démocrate proeuropéen du Président Boris Tadic. Certes, la victoire n’est que relative, et une coalition de l’extrême droite du SRS, des nationalistes du PDS de l’ambigu Premier Ministre Vojislav Kostunica et des génocidaires socialistes du PSS est toujours possible.

Mais l’essentiel est acquis. La victoire peut être volée, elle n’en demeure pas moins réelle : les Serbes pensent que leur avenir passe par l’Europe. Cette victoire est d’autant plus significative qu’elle a été obtenue dans un contexte très défavorable à peine quelques semaines après la déclaration d’indépendance du Kosovo qui, tout en étant incontestablement une région albanophone, est aussi le berceau de la nation serbe.

La Serbie va pouvoir, grâce à cette nouvelle donne politique, effacer les stigmates de la guerre de 1999, encore très visibles à Belgrade et à Novi Sad lors de nos deux derniers passages en 2004 et 2006 (je revois notamment les ponts détruits sur le Danube à côté desquels on se baignait avec Dominique). et intégrer l’UE avec toute l’ex-Yougoslavie (Croatie, Bosnie, Macédoine, Monténégro, Kosovo) et probablement l’Albanie. Aux Européens d’être à la hauteur en donnant les moyens financiers et politiques nécessaires qui éviteront à la région un remake des tragiques erreurs des années 90.

Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, ce dimanche, en gagnant le Master série de Rome, Novak Djokovic s’est encore rapproché un peu plus du numéro 1 mondial… Quel beau symbole pour ce printemps de Belgrade…

10 mai 2008

10 mai 1981, 20 heures


Délégué de François Mitterrand dans les quartiers Nord de la ville (déjà !), je ne suis pas devant la télévision comme beaucoup de Français quand l’heure fatidique approche.

Avec Roger Sautel (futur collaborateur de Jean-Hugues Colonna, aujourd’hui cadre à la Région et compagnon de Pascale Gérard), nous décidons de quitter momentanément les bureaux de vote de l’école Las Planas pour écouter dans mon Opel Kadett jaune pâle les résultats de cette élection dans laquelle nous mettions tant d’espoir depuis des mois et des mois.

La cité HLM est étrangement calme :pas un passant,pas un bruit,même les enfants habituellement nombreux dans les jardins et les patios semblent avoir disparus.

20 heures précises, jingle radiophonique, et une voix annonce avec une certaine emphase : « François Mitterrand : 50 et … ». Spontanément je crie, plus exactement je hurle ma joie, relayé de balcon en balcon par une clameur incroyable. Et c’est à ce moment que le flegmatique Roger aura un geste qui restera à jamais gravé dans ma mémoire. Un geste de la main avec lequel il m’intime l’ordre de me taire tout en m’interrogeant avec une certaine rudesse : « 50… combien ? »

Comme quoi devant une nouvelle formidable, extraordinaire, on peut, selon son tempérament,réagir de bien des façons !

Et vous que faisiez -vous le 10 mai 1981 à 20 heures ?

08 mai 2008

Les tirailleurs du Trabuquet


Moins d’une semaine après les réfugiés espagnols, les Juifs et les Harkis de Rivesaltes, c’est à d’autres oubliés de la République que nous rendons hommage en ce 8 mai. Un peu dans l’esprit du film « Indigènes » qui a ému la France entière il y a deux ans, l’Association Mémoire du Tirailleur Sénégalais (AMTS), soutenue par les copains de SOS Racisme et d'autres associations, organisait une marche du souvenir entre Nice et Menton. Le souvenir de ces soldats africains (parmi lesquels de nombreux Sénégalais et Malgaches) enterrés au Trabuquet, le grand cimetière de Menton. Il s’agissait des soldats de la Première Guerre Mondiale, blessés ou malades, rapatriés des fronts du Nord et qui, après un séjour dans les hôpitaux de la région, n’avaient pas survécu.

Nice Autrement se devait d’être au rendez-vous, le devoir de mémoire étant pour nous le socle de toute action politique. De fait, la délégation avait fière allure avec Bernard (Paquin), Rose, Lulu, Roxan, Clotilde, Carolyne. La conseillère générale du 7e canton était sur la ligne de départ pour nous encourager, Corinne et Michel à l’arrivée pour nous féliciter.

Il faut dire que l’épreuve était rude : 12 kilomètres de marche de Rauba Capeu à Eze, un petit entracte en TER d’Eze à Roquebrune, 9 kilomètres à nouveau du Cap-Martin au parvis de l’Eglise Saint-Michel de Menton, et enfin l’ascension vers le cimetière du Trabuquet pour la cérémonie du souvenir.

Mais l’équipe de Nice Autrement n’a pas à rougir de sa performance avec un Lulu plus que fringuant en Indiana Jones de la Basse corniche, Clotilde et Roxan toujours en tête du peloton, la mâchoire volontaire et le regard conquérant, Bernard, en esthète de la marche, Caro et Rose en promeneuses du dimanche (même un jeudi !), chahuteuses et gaies.

On dit fréquemment que la route qui mène au but est aussi importante que le but. Ce n’était pas le cas aujourd’hui. Le plus important se fut ce moment d’intense émotion quand, devant ces tombes saturées de corps (face à l’hécatombe, on a enterré dans la précipitation, en empilant les cadavres sans véritable souci de la dignité des tirailleurs), des enfants ont évoqué la mémoire de leurs ancêtres, ces demi citoyens soldats à part entière, à travers un poème de Léopold Sédar Senghor.

Sous le déjà chaud soleil de ce mois de mai, les participants ont eu un court moment la sensation de réparer une immense injustice. Avec le sentiment de racheter un peu cette République qui a oublié tant de ses enfants.

07 mai 2008

Caro diario

En Janvier 2006, lorsque je publie le premier post de ce blog, j’explique que « ce blog se veut l’équivalent internet du « Journal intime » de Nanni Moretti (toutes proportions gardées…), c’est-à-dire une succession de séquences s’inspirant de tous les aspects de la vie réelle où le ressenti est au moins aussi important que la réflexion… ».

Cet après-midi, un peu par hasard, j’ai visionné le DVD du film de Moretti acheté il y a quelques semaines. Heureuse initiative car j’ai pu vérifier avec bonheur que plus de deux ans après avoir écrit ce texte, je n’en changerai pas une virgule.

Même goût pour l’errance solitaire dans la ville familière (Rome), même attirance pour les lieux de mémoire surtout quant ils sont tragiques (la plage d’Ostie où a été assassiné Pasolini), même plaisir de l’écriture (Caro diario), même fascination pour les îles, même tendresse pour les nanars (Vive Jennifer Beals !) et la chanson populaire, même étonnement devant les parents et leur progéniture, même inquiétude distanciée devant la maladie…

Oui décidément, pas une virgule… mais toujours bien sûr « toutes proportions gardées… »

05 mai 2008

Into the Wild


Après le Festival lusophone, c’est au tour du maxi week-end du 1er mai d’offrir une nouvelle cession de rattrapage cinématographique.

A l’affiche, quatre films français dont on peut dire qu’ils étaient assez faibles dans l’ensemble et un grand film américain. Un de ces films dont on sait, dès la fin de la projection, qu’il restera dans un coin de votre mémoire des années et des années.

Les quatre films français :

- « Enfin veuve ! », d’Isabelle Mergault. La première partie du film – une veuve joyeuse plutôt heureuse de la mort brutale de son mari – est assez iconoclaste. La suite est malheureusement plus convenue. Une déception pour ceux qui avaient apprécié la drôlerie de « Je vous trouve très beau » de la même réalisatrice.

- « Le grand alibi », de Padcal Bonitzer. Adaptation assez ennuyeuse d’un roman d’Agatha Christie dont Bonitzer a banni toute fantaisie. Or, une énigme d’Agatha Christie sans humour devient assez vite une partie de Cluedo. Ni plus, ni moins. C’est le cas avec ce « Grand alibi ».

- « Deux jours à tuer », de Jean Becker. Là encore, le film débute en déstabilisant le spectateur. Antoine, patron d’une agence de publicité prospère et père de famille comblé, envoie brusquement tout valser avec jubilation et une certaine cruauté : travail, femme, enfants, amis (une soirée d’anniversaire d’anthologie !). En fait, Antoine ne se comporte pas ainsi sans raison. Il a un secret. Malheureusement, la révélation de ce secret cousu de fil blanc efface les promesses de la première partie du film. A voir toutefois pour Dupontel qui, de film en film, s’avère être un de nos meilleurs acteurs.

- « Disco », de Fabien Onteniente. Pour trois catégories de spectateurs seulement : ceux qui sont amoureux de la ville du Havre, le port de la Manche étant le décor unique du film ; ceux qui travaillent chez Darty, « Disco » étant un véritable film d’entreprise ; ceux qui n’ont jamais vu « Full monty » (sur un thème semblable, la comparaison est cruelle, très cruelle).


Le film américain :

« Into the Wild », de Sean Penn.

Christopher Mc Candless, étudiant américain brillant, veut couper les ponts avec l’american way of life incarné par des parents qu’il rejette sans révolte. Il décide donc de partir sur les routes après avoir brûlé papiers et économies pour être bien sûr que l’aventure sera sans retour. Du Dakota au Colorado en passant par la Californie et le Mexique, il voyage sans but précis mais avec une règle : ne jamais s’attacher à celles et à ceux qu’il rencontre. Pour pouvoir poursuivre le voyage, aller ailleurs, aller plus loin, aller « vers l’inconnu » (titre français du film).

Arrivé en Alaska, il découvre la vraie solitude dans les montagnes enneigées. Seul dans puis face à la nature, il va se réfugier dans un bus abandonné. Après cinq mois de total isolement, il décide de retourner à la civilisation : il a enfin compris l’importance de l’autre. Mais il est déjà trop tard : bloqué par la rivière en crue, il va mourir empoisonné par des baies vénéneuses, sa dernière nourriture.

Adapté d’un roman de Jan Krakauer d’après l’histoire vraie de Christopher, le film de Sean Penn réinvente le genre souvent affadi et folklorisé du « road movie » en faisant de ce voyage initiatique une magnifique et maladroite quête d’absolu. Pas de fin rédemptrice mais, fidèle à celui qui se surnomme lui-même « Alexander Supertramp », le réalisateur suggère une réconciliation apaisée avec le Monde.

C’est ainsi que le film se termine sur un autoportrait lumineux de Christopher Mc Candless, le vrai, peu de temps avant sa mort. Un texte explicatif mentionne que des chasseurs l’ont trouvé deux semaines après son décès. Poignant et rassurant à la fois.

02 mai 2008

Du brouillard sur le boulevard

Juin 2007 : Christian Estrosi, à peine élu, renonce à son siège de député pour rester ministre. Mars 2008 : il démissionne du Gouvernement pour devenir maire de Nice. Mai 2008 : il décide de reconquérir son siège de député en provoquant une partielle. Cette valse hésitation a de quoi donner le tournis à des électeurs de la 5e circonscription qui risquent d'apprécier très modérément le rôle qu'on leur fait jouer. Si l'on ajoute l'impopularité record du Président, la grogne sociale, le déficit qui se creuse, l'inflation qui augmente, et le chômage qui repart à la hausse, il faut bien admettre que cette élection partielle ouvre un boulevard à une gauche locale en quête de réhabilitation après le fiasco des municipales de Nice.

Mais un certain nombre d'erreurs risque d'assombrir bien vite cet horizon que l'on croyait dégagé.

- Tout d'abord, le choix du candidat : Paul Cuturello n'est pas sans qualités (c'est notamment un bon spécialiste de la question du logement), mais, homme d'appareil, il est singulièrement dépourvu de charisme. A un point tel que, dans cette circonscription longtemps tenue par la gauche grâce à Jean-Hugues Colonna, Cuturello n'a jamais réussi, malgré de nombreuses tentatives, à se qualifier pour le deuxième tour. Et cela, même au moment où, Premier secrétaire fédéral, il était le leader du PS 06. Et cela bien avant l'affaire des fax qui, on s'en doute, n'a rien arrangé.

- La campagne initiée par le Parti socialiste est axée sur le cumul des mandats du candidat UMP. Sur cette question, quelle est la crédibilité d'un candidat conseiller municipal, conseiller communautaire, conseiller général, qui aspire à être député ? Quelle est la crédibilité d'un candidat, lieutenant de Patrick Allemand, qui est, quant à lui, Vice Président de la Région, conseiller municipal, conseiller communautaire, conseiller général et Premier secrétaire fédéral ? Quelle est la crédibilité d'un parti qui, au niveau national, a capitulé devant ses propres notables en renonçant à imposer son programme anti cumul à la droite pour la Révision à venir ?

- Enfin, en ce qui concerne le fond politique local, le candidat PS est pieds et poings liés par Christian Estrosi puisqu'il fait partie de l'équipe qui a accepté de cogérer la Ville de Nice avec son adversaire en présidant deux des commissions les plus stratégiques.

Cela fait, vous me l'accorderez, beaucoup de brouillard sur ce boulevard qui devait conduire à une victoire facile. Heureusement que le contexte national est si défavorable à l'UMP qu'on a l'impression que la gauche en ce moment pourrait même faire élire un raton-laveur... Alors, pourquoi pas ?

A défaut d'une victoire "pour", une victoire "contre" est toujours possible, mais, ne nous y trompons pas, elle serait plus un symptôme qu'un remède.