29 août 2010

Le conte est bon

Yvan Hemmer de l'association "Contes, Arts et Loisirs"

A part la lecture de quelques exemplaires de la collection « Contes et légendes » en des temps immémoriaux (je ne sais pas pourquoi, je me souviens de celui sur Madagascar avec plein d’histoires liées à la possession du sel… Laurent m’expliquera peut-être !), je ne suis pas très familier du monde des contes. Le spectacle d’Ivan Hemmer fut même pour moi une sorte de baptême du feu, je le confesse, je n’avais jamais vu un conteur sur scène.

Cette première fut en fait une révélation : simplicité et beauté des textes, humanité et humour de l’interprétation, connivence entre l’artiste et le public de petits et de grands…

Dans la nuit tiède mais sans moiteur de cette fin d’été, j’ai suivi avec passion, sur la petite scène du théâtre en plein air du Prieuré du Vieux Logis, les aventures de l’ogre qui aime les femmes en pain d’épice, des trolls borgnes qui traquent la chair fraîche dans les forêts ou de la mère Misère qui réussit à kidnapper la Mort. Des histoires de sorcières et de génies avec dix fois plus d’effets spéciaux que dans les films d’Hollywood. Des effets que vous devez fabriquer vous-même avec votre imagination.

Le conte est bon : en l’espace d’une soirée, je suis devenu « contophile ». Merci une fois de plus au Président Lépine et à sa dream team de l’Association Colline Saint Barthélemy pour leur obstination à faire vivre ce lieu merveilleux qu’est le Prieuré. Mon merci est d’autant plus intéressé que j’ai l’impression, depuis la soirée, d’avoir, par contagion, acquis quelques pouvoirs magiques ce qui, en année électorale sera, n’en doutons pas, certainement utile !

27 août 2010

Sagesse continentale

Conduire près de 8 000 kilomètres dans une dizaine de pays permet d’observer avec une certaine expertise les mœurs des automobilistes.

Bonne nouvelle : la tendance – déjà sensible l’an dernier en Europe du Sud – est la responsabilisation. L’évolution la plus spectaculaire est liée au respect quasi général (même en Italie) des limitations de vitesse pourtant de plus en plus drastiques et de surcroît pas toujours pertinentes. En Allemagne où ces limitations n’existent pas, il m’a semblé également constater une nette diminution de la vitesse sur autoroute.

Les dépassements en aveugle ou tout simplement dangereux sont également de plus en plus rares. Les priorités et les feux tricolores sont plutôt mieux respectés.

Le comportement des automobilistes est également plus civil : moins de coups de klaxon intempestifs (des progrès à faire à Budapest) et disparition quasi totale de l’index sur la tempe ou pire encore.

Des somptueuses autoroutes autrichiennes aux chaotiques routes en terre de Lettonie, c’est ce que j’ai constaté…

C’est un peu comme si les conducteurs européens se mettaient à imiter leurs homologues si sages d’Amérique du Nord ou d’Australie et ne considéraient plus leur voiture comme le prolongement de leur virilité. Il est vrai que de plus en plus de conducteurs sont… des conductrices et ceci explique peut-être en partie cela !

Résultat des courses – et c’est là le plus important –, tout au long de notre périple nous n’avons vu qu’un accident (un poids lourd polonais qui avait manifestement manqué un virage) ce qui est exceptionnel surtout si l’on tient compte des conditions climatiques (déluges en Italie du Nord et en Allemagne du Sud les deux premiers jours notamment).

En réalité, je ne me suis trouvé en danger qu’une seule fois comme conducteur : c’est au kilomètre 0,1, en sortant de mon garage, dans cette rue du Soleil tellement accidentogène et que la mairie, malgré mes interventions et ses promesses n’a toujours pas sécurisée « parce que les services ne sont pas d’accord »…

24 août 2010

A Budapest, le beau Danube est bleu


Il fut un temps où les Slovaques étaient les mauvais élèves de l’Europe. Ils avaient même failli redoubler la classe de 2004 et ne pas pouvoir adhérer avec les autres pays d’Europe centrale.

Si on se fie aux contrôles interminables qu’ils font désormais subir aux voyageurs terrestres qui veulent accéder à l’Union Européenne en passant par leurs frontières, nous pouvons penser que ce temps est révolu et qu’ils peuvent désormais prétendre au titre de premier de la classe. Tout cela est peut-être nécessaire, mais les cinq heures d’attente, au-delà du désagrément, m’ont donné le sentiment d’être le citoyen d’une citadelle inexpugnable, et cela, c’est forcément un peu triste. Surtout si on pense à l’actualité niçoise et aux demandeurs d’asile du parking du Paillon sur le sort desquels nous sommes informés chaque soir par l’ami Bernard Neuville.

Heureusement qu’à l’étape de Kosice, jolie petite ville historique et future capitale européenne de la culture, la Slovaquie se présentait sous un meilleur jour. Les quelques instants passés à rythmer les volutes de la fontaine musicale sur l’air d’Ipanema, au milieu des enfants et des parents incroyablement jeunes de ce pays catholique, furent même un moment parfait.

Mais l’objectif final du voyage était fixé depuis bien longtemps. C’était Budapest. Tout d’abord, parce que la capitale hongroise est la plus belle ville d’Europe centrale. Ensuite et surtout pour le Danube, ce vieux compagnon que nous croisons et recroisons depuis des décennies au cours de nos pérégrinations estivales.

A Budapest, il est chez lui, comme la Seine à Paris ou la Tamise à Londres. Et puis, entre Buda et Pest, c’est vrai qu’il est si bleu.

Regarder pendant des heures, immuable, couler le fleuve, du haut de la colline du château, rassure. On finit par se dire que peut-être la vie est un long fleuve tranquille. Et c’est un peu comme ne pas rentrer…


Pour la dernière étape de sa tournée européenne, Gump, dopé au Tokai, sillonne pendant plus de quinze kilomètre Budapest, en portant les couleurs du beau Danube.

Voir aussi, sur le blog de Dominique, "Soir d'été... à Budapest" et "Soir d'été... sur le Danube".

21 août 2010

L’Ukraine en Lviv


CARNET DE VOYAGE N°6

L’homme a un petit drapeau jaune et bleu, couleurs de l’Ukraine, cousu au revers e sa veste d’uniforme, il s’approche de la voiture et demande « Passeports, documents » (y compris la précieuse carte grise… n’est-ce pas Alain ?!). Je m’exécute en me disant qu’il aura fallu exactement 5 677 kilomètres, huit pays et douze frontières pour que cela arrive.

Les formalités accomplies, nous pouvons vérifier que pénétrer en Ukraine c’est toujours entrer dans un autre monde ou, a minima, dans une autre Europe. La rupture est d’autant plus sensible que nous venons de passer une semaine dans les pays baltes qui, eux aussi, sont d’anciennes républiques soviétiques. En fait, l’Ukraine semble avoir fait du sur-place depuis notre dernière visite, à un moment où la Révolution orange commençait à rencontrer ses premières difficultés, liées principalement à ses divisions (voir mon billet de l’époque, Orange givrée). Réseau routier principal en piteux état, réseau routier secondaire inutilisable dans des conditions normales, habitat très dégradé, friches industrielles nombreuses, parc automobile ancien (avec encore de nombreuses vieilles Lada), absence d’un véritable éclairage public urbain… On pourrait multiplier les exemples à l’infini. Il est vrai que la Révolution orange a depuis viré à l’orange sanguine, avec le retour au pouvoir des ex-communistes pro-Russes. Du coup les conditions politiques ne sont peut-être pas optimales pour une véritable mutation de ce pays qui reste à la croisée des chemins. Je suis de ceux qui pensent que l’Europe pourrait faire un effort. Il n’y a pas de raison que ce qui marche à Tallinn ou à Vilnius ne marche pas à Kiev : pour le bien de la population locale mais aussi pour la paix et la sécurité du continent.

Cela dit, chaque voyage génère au moins une bonne surprise. En 2010, celle-ci sera ukrainienne avec la superbe ville de Lviv. Cette grande cité de l’ouest du pays fut pour nous une vraie découverte. Il faut dire que celle que les Russes appelaient Lvov (je voulais primitivement rendre hommage à Polnareff en titrant ce billet « Lvov me, please Lvov me », mais j’y ai finalement renoncé pour ne pas être accusé de russophilie galopante !) a un passé en forme de kaléidoscope. Ne dit-on pas que les grands-parents des habitants actuels ont changé huit fois de nationalité sans bouger de leur maison ? Nés au début du siècle austro-hongrois, ils seront successivement russes, à nouveau austro-hongrois, ukrainiens, polonais, soviétiques, allemands, et à nouveau soviétiques, avant de redevenir ukrainiens en 1991. Ce riche passé a, bien entendu, laissé des traces. Seule l’importante population juive a disparu du paysage, liquidée avec son ghetto pendant la Shoah. L’architecture est particulièrement représentative de ces mélanges orchestrés par l’histoire. De l’église arménienne à la chapelle du marchand hongrois, en passant par le monastère des bénédictins, nous en avons été les témoins éblouis. Pour des raisons économiques, les travaux de restauration restent embryonnaires, ce qui fait que l’ensemble reste d’une émouvante authenticité. La population elle-même semble déborder d’énergie dans ces rues où les jeunes chantent, dansent, ou « passeggiatent » pendant que les plus anciens jouent aux échecs, parce que c’est l’été.

Bref, nous ne regrettons pas ce live à Lviv.


A Lviv, Gump, un peu troublé par les noms de rue en cyrillique, joue la provocation en portant les couleurs de l'opposition ukrainienne 

Voir aussi, sur le blog de Dominique, "Soir d'été... à Lviv"

18 août 2010

Voyage au centre de l'Europe



CARNET DE VOYAGE N°5

On peut trouver la route entre Tartu et Vilnius un peu longue. Elle réserve pourtant (plein) de bonnes surprises.

Tout d’abord, elle permet – et nous ne nous en sommes pas privés – de prendre son petit déjeuner en Estonie, son déjeuner en Lettonie et son dîner en Lituanie.

Elle peut donner l’occasion d’apercevoir un aigle ou quelques cigognes, de suivre le cours majestueux de la Daugava, ou encore, en forme de bouquet final d’admirer l’illumination spectaculaire des nombreux trésors architecturaux de Vilnius en soirée.

Mais la sensation est encore plus forte quand vous bifurquez sur la droite à quelques kilomètres de l’arrivée, pour vous retrouver… au centre de l’Europe.

En effet, dès 1989, les scientifiques du très sérieux Institut Géographique National de France ont défini les frontières de l’Europe entre l’Atlantique et l’Oural (c’est le grand Charles qui aurait été content !) et calculé l’endroit où se trouvait le centre géographique du continent : 54°54’ de latitude nord et 25°19’ de longitude est, soit à 25 kilomètres au nord de la capitale lituanienne. Malgré l’orage, malgré la nuit qui tombe, nous escaladons le petit promontoire où est matérialisé le point central avec entrain et même avec excitation. Une fois sur place, nous nous laissons aller à une certaine émotion, tout en communion esquissée avec les peuples symbolisés par les drapeaux qui flottent au vent, en arc de cercle, autour de l’esplanade.

En cédant à celle-ci, je ne peux m’empêcher de penser que la géographie physique n’est jamais anodine. Elle est le terreau dans lequel s’épanouissent les plus belles théories géopolitiques. Et tout en jetant un dernier regard complice au petit rocher symbole, je me dis que les spécialistes ont du pain sur la planche car, quand même, Vilnius, au centre de l’Europe, ça décoiffe !

 A Vilnius, coucou le revoilou !

16 août 2010

La Russie s’arrête à Ivangorod

Entre Narva (à gauche) et Ivangorod

CARNET DE VOYAGE N°4

Sous le soleil d’été à la luminosité si particulière des pays du Nord, le face à face est grandiose. D’un côté la citadelle balte, massive, austère et franchement menaçante avec ses hautes murailles pratiquement aveugles, de l’autre, tout en longueur, le château russe, semblant sortir de l’imagination d’un enfant, avec ses remparts et ses tours rondes. Au milieu, en contrebas, coule, nonchalant puis brusquement impétueux après un coude, le fleuve frontière.

C’est que, après avoir traversé la grande plaine lituanienne, sillonné pendant quelques soirées blanches les vieilles villes de Riga et de Tallinn, joué au pas suspendu avec des cigognes de rencontres dans de grandes prairies vertes, partagé des criques de premier matin du monde avec les baigneurs d’ici sur le littoral de la Baltique, nous sommes arrivés au point le plus septentrional de notre voyage, Narva, dernière ville estonienne avant l’immense Russie.

En réalité, le face à face inquiétant entre château de Narva et forteresse d’Ivangorod devenu carte postale presque paisible, est une belle métaphore de l’histoire récente de la région. La période qui suivit l’indépendance des pays baltes ne se présenta pas en effet sous les meilleurs auspices. Tous les ingrédients étaient même réunis pour que la situation dégénère comme c’était le cas, à peu près à la même époque, dans l’ex Yougoslavie. Pendant les années d’occupation soviétique, Estonie et Lettonie avaient été colonisées par une population russe imposée par Moscou, arrogante et dominatrice, et qui jamais ne voulut s’intégrer. On peut donc aisément deviner les sentiments de la population locale, excitée par la propagande des partis nationalistes après l’indépendance. Un scénario catastrophe à la bosniaque était donc tout à fait plausible. Il suffisait pour cela que les communautés russes des pays baltes, s’estimant brimées, fassent appel au Kremlin qui ne se serait pas fait prier. Il l’a d’ailleurs prouvé en Moldavie et en Géorgie.

En fait, rien de cela ne se passa car l’Union Européenne, probablement échaudée par les conséquences de son inertie dans les Balkans, a su faire des propositions d’adhésion aux Baltes en contrepartie de garanties sur le statut des minorités. Du coup, gouvernements locaux et minorités russes ont négocié des systèmes juridiques sophistiqués permettant aux deux camps de sauver la face. La Russie n'avait plus qu'à acter le compromis et se résoudre à voir son territoire s'arrêter définitivement Ivangorod.

Ces compromis ont parfois des conséquences inattendues. Quelle ne fut pas notre surprise cet après-midi de trouver dans la cour du château estonien, une statue de Vladimir Oulianov himself. On a vite supposé que cette présence incongrue était probablement une concession identitaire à la population russophone très largement majoritaire de Narva. Mais quand même, retrouver la statue de Lénine dans un avant-poste de l’Union Européenne, ce fut un sacré choc.

Ici, le Premier ministre a coutume de dire avec humour que son ambition est de faire de l’Estonie un pays aussi ennuyeux que les Etats scandinaves. Quand on pense aux catastrophes évitées, c’est avec espoir que l’on souhaite à des générations de Baltes de s’ennuyer le dimanche en allant voir la carte postale de Nerva et son face-à-face qui deviendra peut-être un jour tête-à-tête.

A Tallinn, Forrest retrouve la terre ferme...

14 août 2010

D’Ogrodniki à Budzinsko, l’Europe avance

Budzinsko, "frontière" Pologne/Lituanie

CARNET DE VOYAGE N°3

Le 18 août 1992, il est 18 heures 30 quand nous arrivons au poste frontière d’Ogrodniki entre la Lituanie et la Pologne. Nous ne sommes pas très optimistes sur le temps que risquent de prendre les contrôles douaniers et policiers : quelques jours auparavant, à l’aller et au même endroit, nous avons été bloqués pendant près de cinq heures. En fait, nos prévisions les plus pessimistes vont être très largement dépassées. Les rapports entre la Pologne post-communiste de Walesa et la toute jeune République de Lituanie qui vient à peine de s’extirper du giron soviétique sont compliqués. Du coup, nous ne ressortirons du poste frontière qu’à… 15 heures le lendemain, c’est-à-dire vingt-et-une heures après notre arrivée, soit, une soirée et une nuit tout entière, le matin et le début d’après-midi du jour suivant. Pour couronner le tout, le ravitaillement solide et liquide se résume à… de la vodka, vendue dans un petit kiosque plus sordide que pittoresque. Heureusement, dans cette longue queue de « naufragés » s’étendant sur plusieurs kilomètres, le voisinage de nombreux Polonais, de quelques Italiens et d’un bus entier de choristes bretons aida à passer les temps. La nuit dans la voiture, quant à elle, fut pleine de surprises, notamment quand les poules d’un fermier voisin me réveillèrent en attaquant la carrosserie de ma voiture avec leur bec ! Au final, il n’y eut pas mort d’homme, mais quand même une vraie galère.

12 août 2010 : c’est à 15 heures que nous arrivons à Budzinsko, frontière polono-lituanienne, située à une trentaine de kilomètres à peine d’Ogrodniki. Mais au fait, quelle frontière ? Pas un uniforme à l’horizon, des bâtiments d’inspiration soviétique désaffectés, aucune signalétique contraignante… A 15 heures 01, le passage était consommé. Et s’il dura un peu plus longtemps, c’est tout simplement parce que nous avons voulu immortaliser ce moment fortement symbolique avec quelques photos.

Bien sûr, on peut souhaiter que l’Europe soit plus forte, qu’elle aille plus loin plus vite : il faut être exigent avec l’Europe. Mais, n’en déplaise à certains esprits chagrins, elle avance cette Europe, elle avance. De Budzinsko, nous pouvons en témoigner.

Et c’est en Européens enthousiastes que nous nous élançons sur les routes lituaniennes avec l’objectif d’atteindre avant le soir la Lettonie, Riga, ses nuits blanches et Art nouveau.

 En Lettonie, Forrest découvre la Baltique

 Voir aussi, sur le blog de Dominique, "Soir d'été... à Riga"

12 août 2010

Les âmes de Varsovie

Vieille ville de Varsovie, place du marché

CARNET DE VOYAGE N° 2

Découvrir une ville en parcourant au petit matin une douzaine de kilomètres à travers rues et avenues, parcs et places, est une méthode infaillible pour créer une sorte d’intimité entre soi et la cité. Ce matin, quelques jours après Berlin, c’est à Varsovie que j’ai créé ce lien privilégié.

Départ un peu avant six heures de l’hôtel situé au nord de la ville : les larges boulevards caractéristiques de l’urbanisme soviétique sont ici parfaitement spectaculaires. Mais l’émotion est vite au rendez-vous quand je m’aperçois que cette partie de la ville correspond au territoire de l’ancien ghetto. J’ai beau me concentrer, je n’entends que le bruit assourdi de mes Nike sur le macadam, aucune note de musique ne parvient à mes oreilles : à l’évidence, le pianiste s’est définitivement tu.

Ces avenues portent parfois de noms chargés d’histoire récente comme Solidarnosc ou Jean-Paul II. En progressant dans la première, je me souviens des apparitions nombreuses d’Yves Montand à la télévision dans les années quatre-vingt, le célèbre petit badge à la boutonnière. Dans la seconde, portant le nom du pape polonais, me revient la formule si peu prémonitoire du petit père des peuples : « Le Vatican ? Combien de divisions ? »

Je cours déjà depuis une demi-heure quand, accompagnant le soleil qui vient de se lever, les Polonais semblent tous rejoindre leur lieu de travail en même temps. Dans une perpendiculaire, j’aperçois la façade caractéristique d’une vieille connaissance : le Palais de la Culture et de la Science, gigantesque kouglof stalinien entraperçu jadis, à une époque où il avait le monopole du ciel de Varsovie, grâce à sa hauteur plus que respectable. Aujourd’hui, battu d’avance dans un monde qui n’est plus le sien, il est noyé au milieu d’une dizaine de gratte-ciel qui font presque de la capitale polonaise une ville américaine.

Deux kilomètres supplémentaires et j’entame la traversée du plus beau pont de la ville sur la Vistule. Pour moi, une ville continentale n’est pas une véritable ville sans fleuve. Celui qui traverse Varsovie, large et majestueux, m’est également familier car je le croise fréquemment dans sa forme adolescente du côté de Cracovie lors des Voyages de la Mémoire organisés par le Conseil général 06 à Auschwitz.

L’heure de course est désormais dépassée et il est temps de rentrer. Je décide donc de remonter vers le Nord en traversant la Vieille ville. Places, églises, maisons bourgeoises, places fermées ou ouvertes : tout est magnifique dans cette vieille ville. Pourquoi alors ce sentiment de gêne qui m’envahit ? Celui-ci n’est pas dû à la rudesse de la pente de certaines rues pavées, mais au fait que la ville ayant été complètement détruite pendant la guerre, on l’a reconstruite à l’identique.

J’ai toujours pensé que les vieilles pierres absorbaient, âme après âme, les générations successives qui les ont habitées et servies pour rassurer les vivants et les aider à être eux-mêmes. Ce fut le sens de mon combat à Nice pour la Gare du Sud. Or, reconstruire à l’identique, pour moi, c’est construire un décor. Ni plus, ni moins.

Mais, comme je ne veux pas me fâcher avec la moitié de la Pologne et accessoirement avec ma coéquipière, je veux bien admettre qu’après plusieurs décennies dans les limbes, les âmes de Varsovie ont pris en considération la patine du décor et accepté de le réinvestir. Mais franchement, je n’en suis pas tout à fait sûr...

 Forrest Gump à Varsovie

 Voir aussi, sur le blog de Dominique, "Soir d'été... à Varsovie"

07 août 2010

Ich bin ein Berliner !


CARNET DE VOYAGE N° 1

Après plus de 1600 kilomètres d’autoroute noyés par des pluies torrentielles dignes du sud-est des Etats-Unis, nous retrouvons la porte de Brandebourg avec son architecture quelconque et son quadrige un peu surfait. Pourtant, nous franchissons l’ouvrage avec une certaine émotion. Certes, celle-ci est moins exubérante que la dernière fois, quelques mois après le rêve éveillé de la chute du Mur, mais elle est toujours là, bien là. C’est que Brandebourg est le symbole de Berlin, et cette ville que je connais finalement assez mal est en fait la clé de voûte historique de ma vie d’homme comme elle est celle de toute une génération, ma génération. Ensemble nous avons connu un monde bipolaire que l’on disait dangereux mais qui finalement s’était révélé plutôt rassurant. Ensemble nous nous sommes enthousiasmés pour la fin brutale de ce système communiste si dévoreur de liberté tout en étant déstabilisés par la chute de ce Mur à l’abri duquel on avait bâti tant de certitudes. C’est donc avec la tendresse que l’on prête à sa propre histoire et à ses propres doutes que je me sens si proche de cette ville. Ich bin ein Berliner !

C’est à tout cela que je pense en regardant la jeunesse du monde déambuler joyeusement d’est en ouest et d’ouest en est, de la pelouse du Reichstag aux premiers arpents d’Unter den Linden. Et au milieu de la foule, je cherche sans trop y croire mon pote Damiel, l’ange des ailes du désir. J’aimerais tellement lui demander ce qu’il pense du Berlin d’aujourd’hui, lui qui finalement s’était si bien accommodé du Berlin d’hier. Peut-être aurai-je quand même le bonheur de le croiser avant la fin de mon séjour. Après tout, Berlin n’est pas à un miracle près.

Berlin : Forrest Gump est de retour

Voir aussi, sur le blog de Dominique, "Soir d'été à Berlin"

04 août 2010

Summer movies 2010


Trois films rencontrés au hasard des programmations estivales des salles catalanes. Plutôt une bonne pioche.

Tamara drewe, Stephen Frears (GB)
Loupé à Cannes où il faisait partie de la Sélection hors compétition, sa sortie en juillet me permet une séance de rattrapage. Tamara, grande bringue anglaise et sexy au nez refait est de retour dans son village natal pour régler une succession. Elle retrouve Nicolas un auteur de polar quinqua qui l’a autrefois éconduite (il faut dire qu’à l’époque son nez…). Celui-ci tient désormais avec Beth, sa femme, une sorte de pension de famille bobo pour écrivains en mal d’inspiration. Et c’est parti pour une séance de marivaudage mi-Allen (Woody) mi-Lodge (David) drôle et parfois cruelle. Du grand Stephen Frears qui arrive même à faire passer la campagne du Dorset pour un petit coin de paradis.

Camping 2, Fabien Onteniente (France)
Une vraie surprise. Entre caricature et humanité, les personnages de Onteniente et Dubost finissent par exister. Du coup le film est encore plus émouvant que drôle. Il pourrait même donner à un producteur une idée de série télé. Pourquoi pas plusieurs saisons d’aventures de Patrick Chirac et de ses acolytes avec des flashs back façon Lost pour nous en apprendre plus sur leur vie en dehors du camping des flots bleus ? En tout cas un bon film populaire.


Inception, Christophe Nolan (USA)
Avec Leonardo di Caprio et Marion Cotillard.
Dom Cobb est un voleur singulier : sa spécialité consiste à s’approprier les secrets les plus précieux d’un individu pendant qu’il rêve et que son esprit est particulièrement vulnérable. Pour une nouvelle mission, Cobb va même jusqu’à tenter de faire l’inverse en implantant une idée dans l’esprit d’un individu : c’est l’inception. Si l’idée de base du scnénario est excitante, son application sur fond d’espionnage industriel est plutôt décevante. Quant à la multiplication des effets spéciaux (en fait surtout les sempiternelles explosions), elle est franchement exaspérante. Reste la belle histoire d’amour du héros avec sa femme morte qu’il rencontre au hasard de ses rêves.

02 août 2010

Merci Jack Lang !

Le 26 avril 2008 sur ce blog, à contre-courant de la gauche institutionnelle, je faisais partie des rares hommes de gauche qui soutenaient la réforme institutionnelle initiée par Nicolas Sarkozy.

J’avais même titré ce jour-là mon billet « Et si c’était la VIe République ? ». Regrettant la tournure prise par un débat centré sur une disposition parfaitement secondaire de la réforme (la possibilité pour le Président de faire un discours devant les assemblées… franchement depuis vous avez vu une différence ?), je soulignais la véritable révolution que constituerait pour les citoyens français la possibilité de remettre en cause une loi au nom des principes républicains auxquels renvoie le Préambule de notre Constitution en évoquant l’exception d’inconstitutionnalité devant les tribunaux.

Ainsi nous aurions comme dans toutes les démocraties adultes, avec le Conseil Constitutionnel, une sorte de Cour Suprême capable d’endiguer les excès d’une majorité politique.

Le projet fut voté en juillet de la même année malgré la gauche et les réticences d’une partie de la droite particulièrement lucide sur la nocivité d’une telle réforme pour ses propres intérêts. Au final, le texte, qui devait recueillir une majorité qualifiée, fut adoptée… à une voix près, celle de Jack Lang, seul parlementaire de l’opposition favorable à la réforme. Il fut voué aux gémonies et accusé de traîtrise.

Aujourd’hui les premiers effets de la révision donnent raison aux hommes qui avaient soutenu le texte : en quelques mois, les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) sont devenues incontournables dans le paysage juridique et surtout politique. Deux décisions sont particulièrement emblématiques en la matière.
- Celle de Mai 2010 (commentée à l’époque par Dominique) va permettre enfin aux « indigènes » de l’armée française d’être traités comme leurs frères d’armes nationaux ; ce que des décennies de lutte et le film de Rachid Bouchared n’avaient pas réussi à obtenir, une simple QPC y est parvenu sans coup férir.
- Celle de juillet 2010 sur la garde à vue est une décision historique qui confirme que nos lois bafouent la présomption d’innocence et les grandes libertés fondatrices du pacte républicain ; et dans la foulée le Conseil constitutionnel exige une nouvelle législation (voir aussi le billet de Dominique).

Ces deux décisions montrent que la gauche humaniste n’a qu’à se féliciter d’une réforme qui protège ses valeurs bien au-delà de l’obsolète séparation des pouvoirs. Nicolas Sarkozy – notamment après cette dernière décision qui contredit son actuel discours sécuritaire – doit se demander quant à lui s’il n’a pas ouvert la boîte à Pandore. Quoi qu’il en soit, Jack Lang n’était pas un traître mais un républicain fidèle à ses convictions.

Quant à la VIe République, je persiste et signe, de QPC en QPC, elle est sur rails… Qu’en penses-tu Arnaud ?