28 mai 2008

Sous les pavés, Trimages


C’est effectivement dans la salle digne de Cinéma Paradisio du théâtre Trimages que l’association ALED (association laïque pour les élèves en difficultés) de notre ami Paul Vautel organisait un débat sur le thème « Mai 68 : qui veut liquider l’héritage ». Certainement pas Robert Charvin, mon ancien prof de droit public, Clément Stora, prof de philo et moi-même qui avions été sollicités pour lancer le débat.

Je n’ai pas connu Mai 68 car, adolescent, j’étais hospitalisé au centre Lacassagne pendant les semaines les plus chaudes des événements. Ce qui ne m’empêchait pas le soir, sous les draps, d’écouter sur Europe n°1 la progression des barricades rue Gay-Lussac ou sur le Boul’Mich.

Devant une salle où je reconnais beaucoup de visages amis, la prise de parole va me permettre de mettre au clair – au moins pour moi – ce que je pense de ces événements si loin, si proches.

Tout d’abord en rappelant que c’est Sarkozy, à Bercy, le 29 avril 2007 qui a exhorté les Français à expier Mai 68… en l’élisant à la Présidence de la République. Ensuite, en citant Wolinski, car un peu d’autodérision ne peut pas faire de mal : « Nous avons fait 68 pour ne pas devenir ce que nous sommes devenus ». Enfin, en soulignant que Mai 68 n’est pas une rupture mais une réflexion, une pause dans une société en pleine mutation : une société qui s’ennuie (édito de Pierre Viansson-Pontet dans le Monde), une société qui s’interroge (« Sommes-nous heureux ? »).

Mai 68, c’est, au milieu des trente Glorieuses, un moment d’intense communion, la fusion entre l’intime et le social et, par-dessus tout, le sentiment que tout est possible… Ce qui est, par définition, parfaitement impossible puisque personne ne veut la même chose.

Les conséquences de ces quelques semaines de « fraternisation généralisée » (Morin) sont plus nuancées.

Ainsi, c’est Mai 68 qui est à l’origine de la rupture entre la gauche officielle (notamment le PS), investie par les soixante-huitards, et les ouvriers, considérés par les premiers comme traîtres à la Révolution depuis Grenelle. Une attitude qui fera le lit du FN et de Sarkozy (à bas 68, vive Jaurès, Blum, Môquet, les vrais défenseurs de la classe ouvrière, c’est nous…).

Peut-être est-ce aussi le Mai 68 de l’individualisme libertaire – « Jouissez sans entraves » - qui a accéléré l’évolution libérale de nos sociétés ? Mais cette collusion « entre l’individualisme jouissif et le capitalisme fondé sur la consommation effrénée… » (Régis Debray) est loin d’être établie. Ou infirmée. La question reste largement ouverte.

C’est Mai 68 qui nous a aussi appris à critiquer le progrès ou du moins une certaine forme de progrès, à l’initiative même du camp progressiste. Et qui a permis, par exemple, l’avènement d’une conscience écologiste.

Mais, quelles que soient les conséquences, quel que soit le bilan, comment ne pas être en symbiose avec cette période de notre histoire commune où l’on affirmait : « Nous ne voulons pas d’un monde où la certitude de ne pas mourir de faim s’échange contre le risque de mourir d’ennui » ?

9 commentaires:

Anonyme a dit…

J'avais remarqué l'annonce de l'évenement, mais pas noté la date. Tant pis .
PS : on passe du cinéma au théatre, M.Mottard ?

Cordialement

FB

Anonyme a dit…

pour revenir à ton intéressante intervention d'hier, et la mention (très brève) des débouchés de 68 dans l'humanitaire, je rebondis sur l'intervention qu'a faite Maurice: il a raconté que, responsable CGT à l'époque, ses collègues du monde du travail et lui-même n'avaient que très modérément apprécié le fait que des universitaires, étudiants ou professeurs, leur donnent des leçon de "révolution".
Je crois qu'on peut tout à fait déplacer le point de vue sur le plan de l'humanitaire pris au sens large. Il serait temps que certains des acteurs de l'humanitaire ARRETENT d'arriver dans les pays du Tiers-Monde en donnant des leçons. ça vaut aussi pour les donneurs de leçons politiques. C'est loin d'être toujours bien perçu, et les sacs de médocs ou de riz n'excusent pas tout.

(autre chose, rien à voir: je n'apprécie pas DU TOUT certains points de vue de Mr Charvin, mais son intervention d'hier m'a quand même beaucoup plu; au fait, la description de la hiérarchie universitaire de l'époque m'a fait sourire, on n'en est plus vraiment là, mais rien n'est gagné, je peux vous le dire!)

Anonyme a dit…

Merci pour ton intervention que j'ai apprécié, c'est vrai que la gauche a connu une reelle mutation,
je n'avais que 13 ans cette année là mais j'ai toujours ressenti 68 et les année qui suivirent comme l'éclosion d'une nouvelle culture plus à la portée du plus grand nombre. La question à laquelle je pensais et que le temps chronométré ne m'a pas permis de poser était "pourquoi 40 ans aprés 68 la jeunesse est elle toujours dans la même problématique de communication avec le pouvoir (politique) en place ?
On pourait faire un parallèle entre le pouvoir gaulliste tout puissant d'avant 68 et celui autoritaire de Sarkosi qui ne laisse aucune place au dialogue avec les jeunes.
C'est en pensant à celà que nous avons choisi ce titre Mai 68, le retour !

Paul

Anonyme a dit…

SarkozY, avec un Y, pas un I.
Ça paraît de rien comme cela, mais il se trouve qu'il existe une différence de taille entre les noms hongrois en I et en Y: un nom en I (Radnoti, Igloi, Szoradi) est un nom de roturier, un nom en Y (Sarkozy, Gyurcsány, Nitray, Nagy) sest un nom d'aristocrate, et je tiens à cette distinction, parce que quand monsieur Nicolas Du Marigot (Oui: Sarkozy, ça veut dire ça) cherche à jouer les prolétaires "de sang mêlé" avec sa particule qu'il traîne en suffixe, ça me gonfle.

Anonyme a dit…

que de regret de n'avoir pu assister à cette soirée,mais deux réunions en soirée avec les élus de ma commune qui ont duréééééééééééééé ne m'ont pas permis d'être parmis vous;
Partie remise Professor!
amicalement SAMI

Anonyme a dit…

Je n'étais pas là hier étant encore dans mon ile et j'ai beaucoup regretté evidemment. Moi je me suis éveillé à la vie politique en 1968 et j'étais alors en deuxième année à la fac de droit de Nice, et j'ai eu qques mérites eu égard à la composition de la fac!! Nous avions cependant réussi qques avancées: le boycott des examens!!!et une autre organisation de la fac!!une AG quasi permanente ou nous remettions en cause le mandarinat.. mais le tout dans un certain orfre propre à des juristee!! Mais j'aurais été curieux d'entendre Robert Charvin; car à l'époque si certains profs nous ont aidé (je me souviens de Fargeat ou Pirovano), Charvin était très absent pris quand même dans la grande trouille du pc qui à tout prendre préférait le maitien du statu quo et ne comprenait rien aux événements qui se produisaient!!!
Il a régné à la fac de droit pendant qques jours une ambiance de fraternité et de liberté qui avaient même fait fuir le fachos pendant quelques semaines. A la rentrée 68 ils étaient là;; Il y avit Falicon Renaudot et qques autres crapules qui ont vite intégré après le médecinisme
Le soir nous quittions la fac de droit pour aller à la fac de lettres occupée!! ou là se cotoyaient mao, trotsko, anar et plein d'autres.
1968 a marqué une grande rupture idéologique. Plus rien n'a été comme avant, rapports familiaux, sexualité.. et tant d'autres choses!!positives et parfois négatives!!
Le déverrouillage des ondes, les lois sur l'IVG, les droits syndicaux dans les usines, le divorce par consentement mutuel , tout s'est réalisé en 68 et dans les qques années qui ont suivi.
Et moi...en septembre 68 j'ai rejoint.. le PSU mais c'est une autre histoire!!

Anonyme a dit…

irene a dit...
Après les marches ( de Cannes) les pavés ( de 68 ), et si maintenant tu passais au mur de... !!! ... ET toujours autant de plaisir et d interet à te lire,.... à samedi...

Anonyme a dit…

En fait, on peut au moins dire ce que Mai 68 ne fut pas: ce ne fut pas une révolution lancée par une élite d'avant-garde, ni un trouble à l'ordre publique déclenché par une minorité de dépravés.

Sur le lien entre "l’individualisme libertaire" et "l'évolution libérale" des sociétés riches, je tiens quand même à noter deux choses: premièrement (mais ce n'est que mon opinion de „jeune“ venu au monde 15 ans après les faits), tout l'aspect „libertaire“ me semble être plus une sorte de provocation au conservatisme ambiant (disons exactement le contraire de la morale plan-plan en vigueur pour exaspérer tous ces vieux) qu'un véritable projet de société, et deuxièmement, derrière l'idée de «Jouissez sans entraves», il y avait „tout le monde“ alors que la situation actuelle, si on la prend par le bout anecdotique, c'est Sarkozy qui ressemble plus à un Louis XIV (le talent en moins) „les menus plaisirs du souverain ne sont pas négociables“ qu'à un soixante-huitard „Communions dans le plaisir et la négation des interdits“, et si on la prend à l'échelle globale, le fait par exemple que la richesse de la Chine soit tributaire de la pauvreté des chinois ou que l'american way of life du XXème siècle soit tributaire d'une sur-consommation d'énergie qui hypothèque l'avenir des américains du XXIème ont peu de choses à voir avec la doxa de 68, quel que soit l'angle que l'on prend pour la regarder.

Quant au divorce entre la gauche officielle et les ouvriers... Bon, ce n'est pas un problème uniquement franco-français: Depuis Lyndon Johnson aux USA, les candidats démocrates à la maison-blanche n'ont plus jamais eu la majorité des électeurs „working class“ et ont toujours gagné (quand ils y arrivait) en prenant l'avantage sur leurs concurent au niveau des classes moyennes, et surtout en dominant électoralement à l'échelle des hauts diplômés (En fait, en étant à seulement 2 points derrière McCain nationalement pour les catégories modestes -Gore avait 17% de retard sur Bush et Kerry 23%-, Obama est, malgré le foin qu'on a fait sur les victoires de Clinton dans les Appalaches le premier candidat démocrate à avoir une chance de mettre fin à cette malédiction qui remonte auy présidentielles US de... 1968). Mais il faut voir les deux corolaires de ce divorce, ce que j'appelle l'élitisme à deux têtes: la première est de faire ce qu'on fait certains „stratèges“ de gauche: mépriser les plus modestes dans le débât, estimer qu'ils étaient perdus pour la cause et qu'il fallait prendre le pouvoir sans tenir compte de leur avis afin de faire leur bonneur malgré eux, et la deuxième s'incarne dans le comportement du FN et de Sarko, mais aussi de l'extrême gauche (qui d'ailleurs se cache de moins en moins pour reprendre à son compte la rhétorique, les termes et les stratégies de l'extrême droite): „Flatter the rubes“ (flatter la racaille): un simulacre d'empathie à l'égard des plus modestes, jouer effectivement la comédie du „les vrais défenseurs de la classe ouvrière, c’est nous“, chercher à gagner la confiance (et le vote) de l'auditoire par la démagogie, voire, par le mensonge pur et simple (Le Pen qui prétend au moment des régionales de 2004 aux 4 vérités que les immigrés reçoivent en minima sociaux des sommes... supérieures au budget de l'État tout en affirmant „Mais ça a été CAL-CU-LÉ! Je sors pas ces chiffres comme ça, voyons“ fut un grand moment de foutage de gueule politique): il ne faut pas oublier que le populisme est lui aussi un élitisme.

Anonyme a dit…

Pour compléter mon intervention , je dirai par rapport à ton propos "les ouvriers considérés comme traitres après Grenelle" que ce n'est pas si simple; Ce sont plutot les directions des centrales syndicales qui ont été conidérées comme traitres par les ouvriers. lorsque Georges Seguy secrétaire de la CGT est allé à Renault présenter comme positifs les accords de Grenelle, il s'est fait jeter par les ouvriers.. et la grève a continué encore au moins 2 semaines à Renault et ailleurs. Après faute de débouchés et de soutien syndical, après le retour de la droite la dissolution et le raz de marée gaulliste tout s'est arrété!!
N'oublions pas non plus qu'au même moment les soviétiques écrasaient le printemps de Prague et le PC (dont Charvin) désapprouvait du bout des lèvres l'intervention soviétique tout en approuvant la normalisation!!!!
Le PC et la CGT n'avaient qu'une hantise être débordées et voulaient à tout prix redevenir à une situation normale!! Grenelle en a été le prix, et si bien sur il ne faut pas en sousestimer les progrés, il n'y avait rien à voir à ce qu'avait révé étudiants et ouvriers....Grenelle a été la fermeture de toute solution politique à la crise, la réponse uniquement syndicale à des revendications qui dépassaient largement ce cadre .