Au 63e Festival de Cannes, la dernière ligne droite fut plutôt guerrière. En effet, sur les six longs métrages que nous avons vus de jeudi à samedi, deux étaient consacrés à l’Irak, un à la 2e GM et le film polémique de la sélection, Hors-la-loi, avait pour thème, comme chacun sait, la guerre d’Algérie. Seuls deux mélos familiaux ont échappé à cette atmosphère belliqueuse : l’un était italien et doux-amer, l’autre hongrois et trash.
Fair game, Doug Liman (USA)
Il s’agit de l’histoire vraie de Valérie Plame, agent de la CIA qui, étant sur le point de démontrer avec son ex-diplomate de mari, l’inanité des affirmations de l’administration Bush sur l’existence d’armes de destruction massive en Irak est dénoncée par son propre gouvernement au risque de sacrifier tous ses contacts à l’étranger.
La réalisation est efficace mais l’histoire du couple, joué à l’écran par Naomi Watts et Sean Penn est trop envahissante. Du coup, la meilleure séquence du film se déroule pendant le générique de fin quand on voit la véritable Valérie Plame déposer devant le Sénat des Etats-Unis.
La nostra vita, Daniel Luccheti (Italie)
Père de famille comblé, Claudio (mais oui !) est aussi un contremaître respecté dans le milieu du bâtiment. Hélas, sa jeune femme meurt en couches en mettant au monde leur troisième enfant. Face à ce coup du sort, le veuf perd un peu les pédales et ses repères moraux. Devenu imprudent et même irresponsable, il risque une catastrophe professionnelle. Heureusement, la famille veille au grain et le tire de ce mauvais pas. Une histoire toute simple où on ausculte le ressac du deuil (on pense à
La chambre du fils de Moretti). En arrière-plan, le film utilise la métaphore de l’état du secteur de la construction pour faire un constat peu reluisant de la société italienne sous Berlusconi.
Dans ce paysage cinématographique italien sinistré depuis de nombreuses années,
La nostra vita est plutôt une bonne surprise.
Route Irish, Ken Loach (G-B)
Invité de dernière minute, le film de Ken Loach est une déception. Pour dénoncer l’ingérence scandaleuse des sociétés de sécurité privées en Irak, le réalisateur anglais nous propose un épisode de
24 heures chrono. Pour venger son copain, le « héros » du film va torturer sous nos yeux pendant une très longue séquence, à la Jack Bauer (« torturer pour la bonne cause n’est pas pécher »), un salopard qui s’avèrera être… innocent. Du coup, entre les méchants pas si méchants que cela et les bons à la bonté incertaine, le message subliminal sur la responsabilité des Etats-Unis et des Occidentaux a tendance à s’affaiblir et la boussole morale des spectateurs à s’affoler.
Hors-la-loi, Rachid Bouchared (France-Algérie)
Le film scandale du Festival s’avère être un pétard mouillé. Si on écarte la scène initiale (6 minutes), présentant une version quelque peu tronquée des événements de Sétif, le film (131 minutes) se contente de défendre plutôt mollement les thèses du FLN à travers l’histoire, qui se veut exemplaire, de trois frères algériens qui entrent en résistance dans la région parisienne. L’aîné, militant professionnel, estime que la fin justifie les moyens. Les cadets sont plus nuancés mais finissent par suivre. A partir de là, l’histoire traîne un peu en longueur et se théâtralise sans vraiment convaincre. Heureusement pour le film, 1500 attachés de presse défilaient dans les rues ensoleillées de Cannes pour en faire la promotion. Deux ou trois d’entre eux se permettront même au passage de traiter deux élus « autrement » de porteurs de valise…
L’exode – Soleil trompeur 2, Nikita Mikhalkov (Russie)
L’exode est, semble-t-il, l’épisode 2 d’une trilogie sur les tribulations du général Kotov que nous avions abandonné en plein goulag en 1994 lors de la présentation à Cannes du premier
Soleil trompeur. Au début du film, Kotov, profitant de la confusion liée à l’invasion allemande, s’enfuit de sa prison pour s’engager comme simple troufion dans l’Armée rouge. En réalité, cette histoire est un peu secondaire. Elle est utilisée comme prétexte par Mikhalkov pour nous montrer son savoir-faire, qui est grand, quand il s’agit de filmer la guerre.
Au-delà des images, le réalisateur nous démontre moins l’absurdité de la guerre que celle des situations qu’elle engendre à travers toute une série de séquences, parfois cocasses, souvent tragiques. Celle du bombardement du bateau de la Croix Rouge, en débutant comme un sous
Mash avant de s’achever en
Titanic du pauvre, restera sur ce plan anthologique.
Un garçon fragile, Kornél Mundruczó (Hongrie)
Ce n’est pas pour rien que ce film est sous-titré
Le projet Frankestein. En effet, Viktor a engendré il y a dix-sept ans Rudi, un garçon étrange et silencieux qui devient un véritable monstre en trucidant ses contemporains avec un certain entêtement mêlé de fatalisme. Du coup, les retrouvailles entre le fiston et son papa, un peu effrayé par sa créature, ne se présentent pas sous les meilleurs auspices. Ce énième film, depuis le début de la compétition, sur les rapports père-fils, était peut-être le film de trop. Depuis le début de la quinzaine, je n’avais pas encore entendu autant de claquements de sièges en cours de séance, ce qui, évidemment, n’est pas un très bon signe. Pour ma part, stoïque, je suis resté jusqu’au bout. Et j’ai été récompensé par un joli looping de Range Rover dans la belle neige autrichienne.
Pour l'ambiance et les pronostics voir le blog de Dominique.