19 octobre 2010

Les pages que j'aurais aimé écrire (5)



Il existe des pages qu’on aimerait avoir écrites sans pour autant en partager le sens profond. Quoique tout cela doit être plus compliqué… puisque ces pages, on a quand même envie de les avoir écrites…

Ainsi la tirade d’un personnage de Dostoievski dans Les frères Karamazov :

« C’est exactement, répliqua celui-ci, ce que me racontait, il y a longtemps du reste, un médecin de mes amis, homme d’âge mûr et de belle intelligence ; il s’exprimait aussi ouvertement que vous, bien qu’en plaisantant, mais avec tristesse. « J’aime, me disait-il, l’humanité, mais à ma grande surprise, plus j’aime l’humanité en général, moins j’aime les gens en particulier, comme individus. J’ai plus d’une fois rêvé passionnément de servir l’humanité, et peut-être fussé-je vraiment monté au calvaire pour mes semblables, s’il l’avait fallu, alors que je ne puis vivre avec personne deux jours de suite dans la même chambre, je le sais par expérience. Dès que je sens quelqu’un près de moi, sa personnalité opprime mon amour-propre et gêne ma liberté. En vingt-quatre heures je puis même prendre en grippe les meilleurs gens : l’un parce qu’il reste longtemps à table, un autre parce qu’il est enrhumé et ne fait qu’éternuer. Je deviens l’ennemi des hommes dès que je suis en contact avec eux. En revanche, invariablement, plus je déteste les gens en particulier, plus je brûle d’amour pour l’humanité en général. »

3 commentaires:

Clotilde a dit…

Ah moi c'est le chapitre sur le grand inquisiteur que j'aurais aimé écrire en entier. Tellement universel et intemporel, malheureusement.

Sylvie a dit…

Moi, je n'ai pas de mots après Dostoïesvki...
(Mais ce texte me parle beaucoup comme toujours les grands écrivains russes.)

ANTONIN a dit…

"Sara respirait avec peine, ses yeux bleus tout ronds brillaient de ce que quiconque aurait qualifié de desespoir si ces yeux s'étaient trouvés dans un visage humain. Mais lui, il appelait ça du désespoir. Et peut-être de l'impuissance. Comme si quelque chose de différent et d'étranger avait pris posséssion d'elle, et comme si elle le comprenait elle-même. Car c'était sa première portée. Elle avait toujours été un peu nerveuse, et il avait du suivre sa première impulsion, ne pas la faire inséminer. Mais elle était si belle, elle avait de superbes formes. En se tenant à distance respectable de sa grosse tête, il se pencha au-dessus du bord et lui massa les mamelles à plusieurs reprises, comme il l'avait fait les derniers jours, pour démarrer l'ejection du lait, rappeler à son corps et à ses instincts ce qu'il fallait faire. Sans quitter sa tête des yeux, il écouta les grognements qu'elle poussait, tout ses sens étaient en éveil pendant qu'il massait ses mamelles. Au bout d'un moment il se redressa et rencontra le regard de la truie qui se reposait dans la loge voisine. Elle croisa le sien dans la pénombre, ses yeux brilaient. Elle s'appelait Siri et il murmura son nom.
- Siri... Oui Siri. Reste couchée! Tout va s'arranger.
Siri était la plus intelligente des neuf truies reproductrices qu'il avait en ce moment. Elle en était à sa troisième portée.
Il lui avait appris des choses à l'aide de friandises et de mots doux. Elle leva le groin vers lui en flairant.
- Oui, quatres porcelets morts. Tu n'aurait pas fait ça, toi. Tu est douée toi. Douée et belle. Oui, douée et belle. Je vais les sortirs aussi. Pas question de les laisser traîner comme ça.
Il alla chercher un sac vide d'aliments pour porcelets et y déposa les petits cadavres. Des cochons parfaits, d'un rose argenté et luisant, bien propres, aux tout petits groins humides et brillants. Bon sang, il aurait dû s'en tenir aux vaches laitières au lieu d'élever des porcs. Mieux valait laver des mamelles et marner au silo du matin au soir qu'avoir ce genre d'expérience. C'était franchement désolant.
Les porcelets flasques et sanguinolents ne pesaient presque rien dans ses mains.
Il se redressa et regarda Sara. Elle était au milieu de la loge vide, la tête penchée et les oreilles tremblantes, du sang autour de la gueule et un peu dans le cou. Dire qu'elle les aimait au point d'être térrorisée qu'il leur arrive du mal, et qu'elle avait préféré s'en charger elle-même."

ce texte est tiré d'une trilogie ecrite par Anne B. Ragde.
J'ai été frappé par la description précise des sentiments presques amoureux qu'éprouve un des personnages vis à vis de ses cochons, à la différence de bon nombre d'entre nous qui ne brulons pour eux que d'un amour culinaire et charcutier.

ANTONIN