Récemment, mon ami Serge Ferrara, co-compositeur de la musique du dernier film de Wim Wenders, Rendez-vous à Palerme (on peut lire à ce sujet mon billet de 2008, 600 marches pour Wim Wenders), me relatait une entrevue avec le réalisateur quelque part en Allemagne cet été. Il n’en fallut pas plus pour susciter en moi l’irrépressible envie de revoir la fameuse trilogie de l’errance réduite à l’état d’un hypnotique souvenir dans ma mémoire.
Alice dans les villes, 1974
Journaliste allemand aux Etats-Unis en panne d’inspiration, Philippe décide de rentrer au pays. A l’aéroport, une jeune femme lui confie sa petite fille Alice. Une fois arrivés en Europe, l’homme et l’enfant attendent en vain la mère qui devait prendre l’avion suivant. Du coup, d’Amsterdam à Wappertal, les deux compagnons de voyage malgré eux partent à la recherche de la grand-mère d’Alice.
Faux mouvement, 1975
Wilhelm, jeune homme tout à fait banal, traverse l’Allemagne de Hambourg à la vallée du Rhin avec une idée fixe : devenir écrivain. Dans le train, il rencontre quelques voyageurs mystérieux qui l’accompagneront pendant tout son périple.
Au fil du temps, 1976
Bruno vit seul dans un camion et va de villes en villages, le long de la frontière entre les deux Allemagne, réparer les appareils de projection des cinémas de campagne. Bien vite, il est rejoint par Robert qui vient de rompre avec son passé. Ensemble, ils vont de rencontres en rencontres.
Trois road movies fascinants qui se transforment en expérience métaphysique si vous avez le courage de les voir l’un après l’autre (six heures et demi quand même…). C’est qu’ils ont en commun l’errance bien sûr, mais aussi le personnage central et le décor. L’acteur allemand Rüdiger Vogler, sorte de Pierre Richard sans grimaces, incarne avec un naturel confondant Philippe, Wilhelm et Bruno, ces hommes en mal de repères dans l’Allemagne encore maudite de l’après-guerre. Je ne me souviens plus quel personnage étranger à lui-même dit : « Depuis toujours, j’ai le sentiment que tout serait pareil sans moi… ». Mais cela n’a pas d’importance car la phrase aurait pu être prononcée par tous. Même l’amour ne peut rien contre cette inaptitude à exister dans un monde aux parois lisses : « Quand tu b…, tu es dans la femme. Es-tu pour autant avec elle ? »
A part la première partie d’Alice dans les villes, qui se déroule aux Etats-Unis, le décor et essentiellement celui de l’ex République Fédérale Allemande. En noir et blanc ou en couleur, des paysages banals défilent en dégageant pourtant un parfum de mystère et d’étrangeté dû probablement à notre méconnaissance de ce pays, si loin, si proche. Les villes et les villages sans grâce ni laideur s’offrent un peu comme dans la chanson de Barbara :
« Eux, c’est la mélodie même,
A Göttingen, à Göttingen… »
Mais chez Wenders,l'errance se révèle plus initiatique qu'amniotique et après avoir compris que "se parler à soi même ,ça consiste plus à écouter qu'à se parler " les trois errants pourront se dire au bout de l'aventure selon les mots de l'un d'eux "Pour la première fois je me vois comme quelqu'un qui a vécu un certain temps et ce temps c'est mon histoire".
3 commentaires:
Il m'arrive d'envier ceux qui peuvent choisir et délimiter le temps consacré à une expérience métaphysique... quand j'ai parfois l'impression qu'aussitôt ma conscience apparue, l'expérience s'étant pour ainsi dire imposée d'elle-même, elle allait durer un peu plus de 6H30. Si jeunes alors nous sommes, et déjà dans l'existence!Comme hors de notre être. J'ai aimé Alice dans les villes, partagé les faux mouvements, mais j’ignore … le fil du temps. Ce que j’y ai vu :Enfin, nous ne sommes pas tout seuls ! Enfin on peut trouver cela beau ! Enfin cette expérience s’accompagne de musique ! Enfin, c’est à distance… cette distance elle-même, que l’on peut, enfin contempler.
Même si je préfère les Italiens en cinéma il faut avouer que la description que tu fais des trois films donne envie de les regarder...
Quant à l'errance, il n'est pas toujours nécessaire d'aller très loin pour se touver. Sur les voyages on peut lire Nicolas Bouvier... On the road again comme dirait Bernard !
"Auf Dem Zeit" Film initiatique sur lequel j'ai rédigé un article dans "L'écho des platanes" journal de mon lycée en ce temps là... Le plus dur a été "l'impression" avec une machine à tambour qui encrait autant l'opérateur que le papier! Un comble pour un fils d'imprimeur.
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