La politique culturelle française est dans une impasse.
Si l’on considère que la culture est un facteur d’émancipation, qu’elle rend plus autonome, plus libre et peut-être même plus heureux, sa démocratisation est une ardente obligation. C’est d’ailleurs le rôle que l’on assigne théoriquement en France à la politique culturelle. Or, celle-ci est en panne depuis une vingtaine d’années, se limitant à une politique de l’offre en faveur d’un public averti et des corporatismes des « milieux culturels ». Elle n’est plus vecteur de démocratisation.
Pourtant, en leur temps, Malraux et Lang avaient développé géographiquement la diffusion de cette politique dans le « désert français » : le premier, par la déconcentration et les premières DRAC (directions régionales des affaires culturelles), le second, par la décentralisation et les politiques culturelles locales. Par ailleurs, ils avaient également très largement ouvert le champ d’intervention du ministère à la culture contemporaine (Malraux) et à la culture populaire (Lang).
Mais cette politique culturelle à la française reste quand même essentiellement une politique de l’offre qui s’appuie sur l’aide à la création et à la diffusion, négligeant la démocratisation en ne s’intéressant pas à la réception, c’est-à-dire aux publics et à leur éducation. Et pourtant, qu’elle est juste la réflexion d’une ancienne ministre de la culture (celle qui m’a aidé à sauver la gare du Sud) : « L’offre culturelle glisse sur une grande partie de la population comme une pluie trop forte sur une terre aride. Il faut préparer la terre à recevoir les semences… »
Le dernier quinquennat n’a pas été catastrophique, comme les « milieux de la culture » (pourtant bien servis par Hadopi) ont pu le dire. Il a tout simplement été médiocre. Le discours de Nîmes en janvier 2009, volontariste et même offensif (Carla ?), a rapidement fait pschitt ; le Conseil de la création artistique est mort-né, victime de la pression des « milieux » alors même qu’il était novateur ; l’arrivée de Frédéric Mitterrand, forte personnalité, a été une franche déception dont on peut prendre la mesure en lisant Le désir et la chance, l’affligeant livre-bilan qu’il vient de publier.
C’est dire si la culture et la Princesse de Clèves n’ont rien à attendre d’un deuxième mandat de Nicolas.
Et François Hollande dans tout ça ? Disons que, dans un premier temps, son discours sur la culture ne m’a pas vraiment enthousiasmé. Je le trouvais et je le trouve toujours trop axé sur l’économie culturelle. Cet aspect est certes important mais trop le privilégier laisse supposer que les obstacles à la démocratisation de la culture sont économiques (d’où le fantasme des musées gratuits, par exemple) alors qu’ils sont avant tout sociologiques.
Par contre, à la relecture, j’ai trouvé très prometteur que le futur Président considère « l’éducation artistique comme une priorité » et envisage « un plan national piloté par une instance interministérielle, dotée d’un budget propre, rattachée au Premier ministre ». Là, nous sommes dans l’éducation, la médiation, l’élargissement de la demande. Déconnecter cette politique du ministère et la rattacher au Premier ministre est aussi un signe fort pour combattre les corporatismes et faire de la démocratisation de la culture une grande cause nationale.
Et au fil des interviews, j’ai appris à connaître Aurélie Filippetti, la responsable Culture du candidat Hollande dont on dit qu’elle pourrait être ministre si… Cette jeune élue a une philosophie de la politique culturelle qui est assez proche de celle que je défends devant mes étudiants :
« Je viens d’une famille communiste où l’objectif d’émancipation de la culture était très fort, où il n’y avait pas de projet politique sans projet culturel. La culture, c’est lutter contre les inégalités, c’est sortir d’une vision apocalyptique de l’avenir. La culture donne un sens à la vie. Moi, ce qui m’a sauvée, c’est la littérature (…) C’est une émancipation intellectuelle qui donne un autre rapport au monde (…) Je ne crois pas à la vision de Malraux selon laquelle il suffirait de mettre les gens en présence de l’art pour leur en donner le goût. Il faut travailler sur la durée, d’où l’importance de l’éducation artistique (…) Il faut montrer l’art mais aussi expliquer la démarche de la création. »
Si le discours de François Hollande en matière de culture doit encore être précisé, j’aimerais autant que ce soit par Aurélie… Cela me rassurerait !
28 commentaires:
La culture n'est pas une priorité pour l'équipe qui dirige la France depuis 5 ans.
Les attaques contre la Princesse de Clèves, la critique des programmes scolaires d'Histoire ou de Sciences économiques et sociales, l'augmentation du prix du livre et autres Zadig et Voltaire comme livre préféré d'un ministre le prouvent!
Alors s'il ne suffit pas d'augmenter l'offre culturelle essayons au moins encore de susciter la demande car certes la culture ne sert à rien en terme de rentabilité mais elle rend libre et la liberté aujourd'hui n'a pas de prix!
Effectivement, la culture rend libre c'est pour cette raison qu'elle n'est plus soutenue comme une valeur sûre.
Aurélie la commente avec beaucoup de pertinence et de subtilité, son discours est à retenir en ces temps si difficile et à transmettre. La faire éclore dans la durée, la transmettre comme une mémoire et l'enseigner aux plus jeunes, c'est notre plus précieux patrimoine et notre seul avenir. Merci pour ce débat. Sincèrement.
Christine
Effectivement, la culture rend libre c'est pour cette raison qu'elle n'est plus soutenue comme une valeur sûre.
Aurélie la commente avec beaucoup de pertinence et de subtilité, son discours est à retenir en ces temps si difficile et à transmettre. La faire éclore dans la durée, la transmettre comme une mémoire et l'enseigner aux plus jeunes, c'est notre plus précieux patrimoine et notre seul avenir. Merci pour ce débat. Sincèrement.
Christine
d'accord avec toi patrick pour ne pas aller plus loin dans "l'industrie culturelle", une catastrophe, et pour peser pour la réévaluation de la culture dans l'éducation, et aussi pour le soutien aux associations culturelles qui entretiennent et réparent les relations humaines abîmées par les déchirures du tissu social, comme celle dont je suis l'animateur à aiglun (06) et qui attend depuis des années autre chose que 500 euros (dans le meilleur des cas) ou rien (le plus souvent, au point que cette année j'ai renoncé à déposer un dossier) de la part du CG06.....
Je la trouve brillante cette fille !
Ce vendredi, nous avons enfin eu le temps d’aller au TNN voir la pièce dont toute la ville parle : Après tout, si ça marche…
j'aimerai connaitre qui est "tout la ville en parle" un sondage serait certainement révélateur du nombres de personne concerné...
parsus06
Par contre, à la relecture, j’ai trouvé très prometteur que le futur Président considère «
ne vendez jamais la peau de l'ours avant de l'avoir tué.
melanchon arrive a grand pas ...
parsus06
Parsus je n'ai pas prétendu avoir fait un sondage mais quelques amis,étudiants,voisins parlant de la même pièce c'est assez rare...celà dit je suis le premier a dénoncer le fait que le public du TNN est sociologiquement toujours le même...d'où mon billet...CQFD!
Aurélie Filippetti !
J'adhère totalement !!!
Alexandre
@PARSUS
C'est certainement un tout petit noyau de bobos fonctionnaires qui se prennent "sociologiquement" pour la représentation culturelle du Peuple de Gauche qui va sauver la France ...par la Culture. Il en faut, et nous en avons. Quelle chance vraiment.
Alexandre L.
Il ne faut pas manifester d'aigreur vis à vis de ceux qui ont la chance d'accéder à la culture mais se battre pour que le plus grand nombre puisse en bénéficier...
Je ne m'inquiète pas pour "la Culture en France" quand c'est la gauche qui est aux commandes !
La droite n'en a jamais fait un point essentiel, heureusement que l'encrage culturel français est important, et ne se détériore pas facilement, même avec les pires délaissements...
Très bien formulé Patrick.
Un sujet brûlant n'est-ce pas!
Merci
Ne jette surtout pas l'éponge Cendrillon, qui que tu sois !
Ton blog ! sans mot...de toute beauté et à partager.
Sincèrement.
Si je comprends bien Parsus, il faut fermer le TNN repère du tout petit noyau de bobos fonctionnaires.
Vive la révolution culturelle et comme dans un glorieux passé
envoyons les aux champs pour se régénérer.
J'ai honte je l'avoue de faire partie de cette engeance. Il y a un nombre record d'abonnés... beaucoup de jeunes.. une programmation éclectique..; certes probablement tous des bobos et fils de bobos!
Il n'y a donc qu'une solution c'est vrai; fermons le TNN.
Hugo, 16 ans :
A force de montrer des pseudo-intellectuels qui parlent d'art à la télévision avec snobisme, on contribue encore et toujours à diffuser l'art comme divertissement pour les élites. Je pense que l'effort est à faire dans la manière d'enseigner l'art, la littérature... non comme une matière quelconque mais comme une matière vivante : aujourd'hui on parcourt un livre comme on fait des exercices de mathématiques.
Ou peut être préfère-t-on que l'art reste cloisonné par les élites qui en font une mode, plutôt qu'un véritable enseignement spirituel ? Et encore, il est peut être utopique de croire que ceux qui nous dirigent sont des lettrés.
Merci beaucoup Christine :) c'est très encourageant ! à très bientôt !
Hugo tu as tout à fait raison la culture c'est au moins aussi important sinon plus que les maths...mais elle exige aussi un effort personnel !
"Je viens d’une famille communiste où l’objectif d’émancipation de la culture était très fort".
Cette phrase m'interpelle. Je viens d'un pays communiste où l'émancipation de la culture était un lit du Procuste.
*Un lit de Procuste
"Un lit de Procuste".....je ne connaissais pas du tout cette expression et donc merci à celle qui nous la livre.
C'est la preuve que ce blog est bien un espace de culture.
Merci encore à toi Patrick!
la réponse faite a bernard gaignier hier ne vous a pas plus monsieur mottard pour l'avoir censuré ???????
parsus06
Selon recherche web : "Dans la mythologie grecque, Procuste était un charmant garçon au comportement plein de douceur et de gentillesse.
C'était un brigand, mais pas du genre de Robin des Bois : il avait en effet pour habitude de capturer des voyageurs, de les attacher sur un de ses deux lits, les grands sur le petit lit, et inversement.
Ensuite, parce qu'il fallait bien trouver des moyens de s'occuper alors que la télévision, le Scrabble® et le strip-poker n'existaient pas encore, il coupait les membres qui dépassaient pour les gens trop grands, ou bien il étirait ceux des trop petits, pour les ajuster à la dimension du lit.
Il y en a qui arrivent à s'amuser d'un rien, n'est-ce pas ?
Heureusement Thésée mit fin à ses exactions en capturant à son tour Procuste et en lui faisant subir le même sort peu enviable.
C'est de cette volonté d'uniformiser en découpant tout ce qui dépasse, en cherchant à faire tout rentrer dans un même moule qu'est née notre expression qui symbolise, entre autres, l'arbitraire et la rigidité d'une réglementation incapable de s'adapter aux cas particuliers".
Voilà, question de formatage... Cela me rappelle "Get'em out by Friday" de l'excellent album Foxtrot de Genesis
Heu! quelle censure?
la culture c'est comme la confiture...
Censure et culture ne font pas bon ménage et en plus ce n'est pas l'habitude de la maison!
j'ai parlé de censure car j'ai envoyé un billet pour répondre a bernard gaignier et mon billet n'est pas passé .... alors que dois-je penser ???????
parsus06
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