13 décembre 2009

Lucie dans tous ses états

La fonction de conseiller général ne permet que très rarement la fréquentation de la poésie, a fortiori quand celle-ci a des accents surréalistes... Et pourtant !

Nous sommes samedi, en début de soirée. L'orage gronde et la petite foule, invitée par l'Association de la colline Saint Barthélemy, pour fêter la Sainte Lucie, se presse dans la salle au plafond bas de l'entresol du Prieuré du Vieux Logis. Arrivé avec un peu de retard, je me faufile entre les fidèles dans l'étroit couloir et me retrouve, plutôt surpris, face à douze Vierges suédoises, toges immaculées et blondeur scandinave, chantant d'une voix cristalline les louanges de Lucie, cette sainte sicilienne qui préféra jadis - étrange entêtement - s'arracher les yeux plutôt que de perdre sa virginité. C'est que la Sainte Lucie, proche du solstice d'hiver, est fêtée en Suède à travers de nombreuses fêtes des lumières ( luce, lux, lumière).

D'où ce déploiement virginal, bougies en main ou... sur la tête, d'autant plus dépaysant que mon dernier contact avec la culture suédoise remonte à la lecture déjà lointaine du polar Millenium.

Tout en écoutant avec délectation les voix célestes, je me dis que l'engagement légendaire des scandinaves en faveur de la parité n'est pas un vain mot : deux des vierges sont... des hommes !

Le récital achevé, la procession aux lumières doit s'élancer à travers rues et ruelles du quartier. Au son de... la Java bleue (vous savez, celle qui ensorcelle...) jouée par un très jeune accordéoniste qui, à l'évidence, a déjà une pratique très affirmée du happening décalé, une petite troupe d'une soixantaine de personnes se met en branle. L'élu du canton se doit de donner l'exemple et je participe donc à l'aventure. Car aventure il y eut. La bourrasque se déchaîna, retournant les parapluies et fouettant les visages. Bien sûr, au bout de cent mètres, la pluie violente eut tôt fait d'éteindre les petites chandelles et de débaptiser ipso facto la procession aux lumières.

La montée d'un boulevard Gorbella désert et quelque peu lugubre sous l'ondée fut particulièrement épique et insolite. Notre petite troupe était précédée par de stoïques musiciennes provençales, fifres et tambourins, qui jouaient une musique joyeuse évoquant les cigales et le pastis bien frais. A la fin du cortège, une voiture de la police municipale veillait probablement à ce qu'il n'y ait pas de débordements en fin de manif... euh, je vous prie de m'excuser, de procession !

L'orage redoublant d'intensité, l'itinéraire devint de plus en plus incertain, le défilé se transformant en une sorte d'errance à la Théo Angelopoulos...

C'est à ce moment-là que je compris qu'on pouvait être très nombreux et vivre quand même un grand moment de solitude.

Une demi-heure plus tard, l'exode s'achève chez le père Didier dans l'atmosphère tiède de l'église Saint Barthélemy où une surprise nous attendait : les Vierges - qui avaient été préservées de la tempête - peuvent à nouveau chanter la gloire de Lucie pour détendre nos corps grelottants et recroquevillés. Heureusement, le vin chaud servi dans le cloître du monastère après cet ultime spectacle va nous réconforter. Du coup, l'ambiance monte d'un cran et, si l'esprit de Lucie était toujours parmi nous, c'était moins celui de l'austère Sicilienne que celui de celle qui fait un tour in the sky with diamonds...

Et c'est quelque peu euphorique que je redescend la colline pour retrouver cette autre Lucie qui m'attend à la maison.

4 commentaires:

alaind a dit…

Lucie, la lumière est sa force, et pour la fête des lumières, je ne saurais que vous recommander l'adresse ci-dessous:
http://cmonoeil.canalblog.com/
Aucun engagement, juste une relation merveilleuse qui est sans pareil pour nous montrer une ville admirable, que ce post me réveille

colibri a dit…

J'imagine la scène : la petite équipe en train de déambuler dans le boulevard Gorbella sous la pluie... Surréaliste en effet!

AvéPéhèm a dit…

Ah ouais ça devait être épique quand même la "petite balade" sous une pluie diluvienne et avec l'orage en plus... courageux, tu es petit scarabée !! ou un peu insouciant... rien ni personne ne me fera sortir sous un orage en cours d'expression...
L'avantage c'est un p'tit texte bien sympa, qui m'a bien fait rire, surtout quand on essaye d'imaginer ce que tu décris !!

Cléo a dit…

Dans les chaises de Ionesco,le personnage masculin remercie à peu près tout ce qui permet de, les conditions, mais aussi les conditions des conditions, la condition de la plus élevée à la plus basse. Quelle version alors que celle qui remercie, le plafond et le bas, les corps blessés d’avoir été recroquevillés mécaniquement et les saintes des biens naturellement élévateurs, l’étroit couloir et les douze vierges (c’est bien dans la même phrase ?), les bougies et ce qui remonte à la lecture, (c’est toujours bien dans la même phrase ?) la parité et la délectation (bis-bis-), celui qui donne l’exemple et ipso facto, les débordements des cigales processionnaires et la municipalité pour sa manifestation, les diamantaires qui chantent les Beatles à ciel tête, l'éclair qui ne grondait pas et la fermeture apaisée du vin chaud, autour à présent de ? Et au tour de la petite foule et la grande solitude. Tous mes remerciements au conseiller général et aux poètes surréalistes pour cet emportement collectif hors du commun.