24 juillet 2010
I am married !
Stimulé par l’excellent mémoire d’un étudiant de M2 (« Kubrick ou l’échec de la communication », Pascal Minot) qui m’avait demandé d’être membre de son jury, j’ai profité de la trève estivale pour revisiter l’œuvre de Stanley Kubrick.
Délaissant un peu lâchement le traumatisant Orange mécanique, j’ai revu successivement 2001 : l’odyssée de l’espace (1968, le film qui a bouleversé la science-fiction au cinéma), Barry Lindon (1975, un film historique à l’esthétique digne de Gainsborough sur le monde corrompu du XVIIIe siècle anglais), Shining (1980, un film d’épouvante d’anthologie dans un hôtel désert des montagnes du Colorado), Full metal jacket (1987, un film de guerre hallucinant où, du camp d’instruction de Caroline du Sud à l’offensive du Têt au Vietnam, on partage le sort d’une poignée de jeunes marines), Eyes wide shut (1999, le dernier film de Kubrick, étrange et fascinant, drame psychologique à dominante érotique, autour du couple Cruise-Kidman).
Là où un réalisateur – estimable au demeurant – comme Jean-Jacques Annaud visite, de La guerre du feu à L’amant, tous les genres cinématographiques en faisant des films, Stanley Kubrick s’approprie ces mêmes genres pour bâtir une œuvre.
C’est ainsi qu’on retrouve, de film en film, les mêmes thèmes : réflexion sur les rapports du corps et de la machine, symbolique du conte, interrogation sur la réalité de la mort, rôle de l’œil, des miroirs et des lunettes, tabous et voyeurisme…
C’est dire si pendant ces 699 minutes, j’ai pu à la fois revoir avec plaisir des films que je n’avais pas vus depuis longtemps tout en m’immergeant dans le monde inquiétant et inquiet de Kubrick.
Mais de ces 699 minutes, si je devais en conserver une seule, ce serait sûrement celle qui concerne Nicole Kidman au tout début de Eyes wide shut.
Alice s’ennuie dans une soirée mondaine où son mari l’a entraînée presque malgré elle. Délaissée par celui-ci, elle boit quelques coupes de champagne pour passer le temps et, un peu éméchée, accepte de danser avec un inconnu (quinqua, ténébreux et hongrois). Ils flirtent ouvertement et, de slow en slow, l’atmosphère devient de plus en plus torride. Loin de subir, Alice a plutôt l’initiative du jeu de la séduction.
Persuadé de sa bonne fortune, le partenaire lui propose de visiter une collection d’estampes japonaises (ou quelque chose d’approchant…) à l’étage. Après avoir hésité ou fait semblant d’hésiter, Alice interrompt la danse, lève le bras gauche et pianote dans le vide avec ses doigts tendus. D’un geste équivoque, elle met en évidence annulaire et alliance et dit d’un ton provocateur mais étrangement définitif : « I am married ».
Les quelques mots prononcés les yeux mi-clos ont une telle charge érotique que la formule claque à la figure du beau ténébreux qui – on le suppose – peut, le temps d’une fulgurance douloureuse, faire l’inventaire des possibles devenus à tout jamais impossibles.
Trois mots pour comprendre le génie d’un réalisateur, le talent d’une actrice et la supériorité définitive de la VO sur la VF.
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3 commentaires:
D'accord... mais si la bande son était en v-off, n'aurait -on "pas entendu nicole kidman chanter: "maa viiiiie... j'en ai eu des amants....". Tourné par resnais, On reconnaîtrait la chanson!
Je partage tout à fait votre opinion.
Kubrick était un fou génial comme beaucoup d'artistes.
Eyes wide shut est son chef d'oeuvre, l'apothéose du travail de toute sa vie. Un film tellement vrai qu'il réussira à briser définitivement le couple Cruise/Kidmann en le mettant face à ses contradictions, Tom Cruise préférant sa "secte" à sa femme.
Mais Barry Lyndon restera peut-être le plus beau film que je n'ai jamais vu, pour les images qui sont autant de "tableaux" que pour la musique qui n'a cessé de m'habiter toutes ces années.
T'as pris que les derniers à partir de l'Odyssée de l'Espace, c'est voulu ?? Lolita, dans le cadre de ta réflexion c'était pas mal... Moi j'avoue un gros faible pour Barry Lindon où sa "violence" s'exprime plus calmement et différemment et mon préféré reste l'adaptation de Stephen King, Shinning avec un Nicholson plu fou que fou... Full Metal Jacket je l'ai vu UNE fois, j'ai été trauma total (me fait penser à une version plus gore de Midnight Express)...
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