08 novembre 2010

Houellebecq ou le Goncourt Vache qui rit

Cette année, la culture française a fait un grand bond en avant – ou plutôt en arrière – puisqu’il était possible de lire le Goncourt dès septembre sans attendre le traditionnel rendez-vous de novembre chez Drouot. Tous les médias étaient d’accord : le prix ne pouvait pas échapper à La carte et le territoire de Michel Houellebecq. Depuis midi, nous savons qu’effectivement il ne lui a pas échappé.

Intrigué, j’avais anticipé le triomphe annoncé en lisant l’ouvrage dès les premiers jours de la rentrée.

Qu’en dire ? Tout d’abord qu’il se lit sans ennui. L’histoire de Jed Martin, le photographe plasticien amateur de cartes Michelin (c’est également mon cas), est assez plaisante à suivre. Le roman est même décapant quand il se moque des us et coutumes du monde de l’Art et des galeries. Enfin, les amateurs de l’auteur des particules élémentaires retrouveront avec plaisir cette propension à transformer un quotidien truffé de situations banales, de personnages falots et d’objets usuels en un monde quasiment onirique.

Mais, il faut bien le dire, La carte et le territoire est avant tout une extravagante expérience de nombrilisme assumé. En effet, à côté de Jed Martin, l’autre personnage principal du roman est … Michel Houellebecq lui-même ! Pas le Houellebecq réel, ce qui aurait pu être (peut-être) intéressant, mais le Houellebecq des médias, le personnage faussement énigmatique que le provocateur aux paupières lourdes trimbale depuis quelques années de plateaux en studios.

Houellebecq auteur a donc créé un Houellebecq personnage de fiction qui ressemble au Houellebecq médiatique. Du coup, ce qui aurait pu être une vertigineuse mise en abyme pirandellienne devient une illustration philosophique de la réclame de « La vache qui rit ». Chacun se souvient de cette publicité fromagère où l’on voyait une vache souriante portant des boucles d’oreille sur lesquelles on pouvait voir une vache souriante qui portait des boucles d’oreille sur lesquelles, etc.

Le face à face entre l’auteur et son personnage se révèle donc trop complaisant pour être pris au sérieux. Notamment quand, dans un passage grandguignolesque, Houellebecq auteur raconte l’assassinat de Houellebecq personnage.

Il y a quelques années, Pierre Desproges disait : « Quand Tino Rossi est mort, j’ai repris deux fois des nouilles ». Gageons qu’après avoir lu la scène du meurtre, de nombreux lecteurs de La carte et le territoire reprendront avec gourmandise deux chapitres de Julien Gracq ou même de Paul Auster…

21 commentaires:

ben a dit…

N'ayant pas lu le livre je me garderai de vous juger sur le fond. Votre "mise en abysse" est regrettable (on dit "mise en abyme"), mais quelqu'un qui cite Desproges ne peut être tout à fait mauvais ! Encore moins un courageux homme de gauche dans la très droitière Nice.

Unknown a dit…

Merci pour votre vigilance : vous avez bien sûr raison (il y a eu un problème au moment de la saisie, le m a été pris pour 2 s...). En tout cas, c'est rectifié.

Antoine a dit…

Je n'ai pas encore lu, mais je vais envisager cette lecture sur tes conseils avisés et découvrir enfin cet intriguant auteur ailleurs que par média interposé.

Emmanuel a dit…

Je ne suis pas un grand fan de Houellebecq et tu me fait énormément plaisir en le comparant à la vache qui rit. Pour moi il incarne cette société qui perd tout repère et médiatise n'importe quoi. Par contre pour Gracq (écrivain préféré de ma femme)et Desproges je suis preneur. Une petite correction que je me permet de te signaler, à la mort de Tino Rossi ce ne sont pas des nouilles qu'il reprend mais des moules. Petit détail sans grande importance.

Unknown a dit…

Alors nous allons demander à maitre Capello-mon ami Bernard Gaignier,auteur d'un spectacle sur Desproges -de trancher le litige...Help Bernard!

Emmanuel a dit…

C'est de bon aloi et merci à Bernard Gaignier de continuer à faire vivre cet immense esprit qu'était Pierre Desproges.

bernard gaignier a dit…

Pour moi c'est des nouilles!! Ceci dit Desproges a souvent repris cette expression, dans des chroniques et dans ses textes de scène! Alors peut être a t il utilisé les 2 versions; mais dans les textes de scène... c'est les nouilles... Enfin c'est ce que je disais sur scène... et certains auteurs m'ont dit qu'il y avait parfois quelques "menues" différences entre le texte d'origine et la version que j'interprétais.... mais bien sur c'étaient de mauvaises langues......
Ceci dit je m'ennorgueillis bêtement peut être de ne jamais avoir lu Houellebecq; Bernard Henri Levy; Finkielkraut......
par contre je vous conseille le prix nobel de litterature un péruvien Mario Vargas LLosa. Je ne le connaissais pas et l'ai découvert par hasard.... un régal!

Clotilde a dit…

Etre nombriliste n'est pas un défaut en soi, même si c'est un procédé beaucoup trop répandu et justifiant toutes les logorrhées actuelles ou presque. Emmanuel Carrère est par exemple très nombriliste dans nombre de ses bouquins, et pourtant, c'est un écrivain important. Il est d'ailleurs le seul qui me vienne à l'esprit en pensant à "écrivains français actuels qui valent un certain détour". Christophe Honoré étant placé au-dessus dans mon classement (ben oui, hein Honoré n'est pas qu'un cinéaste, il écrit avant tout de supers livres même si les thèmes sont bien durs...).

Bref, le nombrilisme ou en tout cas, l'utilisation de données autobiographiques, ont produit de véritables oeuvres de littérature, chez les écrivains non-francophones aussi.

Pourtant, bien que n'étant pas du tout aussi dure que vous, je ne peux pas dire que je sois fan. Houellebecq me laisse un goût bizarre, comme une sensation de "peut franchement mieux faire". J'ai lu trois Houellebecq me semble-t-il et à chaque fois, ça part pas mal, et puis la fin de l'histoire devient souvent un petit peu ... ridicule. Je ne sais pas à quoi c'est dû. Facilité? Flemmardise? Désintérêt de son propre travail, après un certain temps?
Houellebecq est intéressant sur un plateau télé, on ne peut pas dire que ce soit le cas de tous nos auteurs français, c'est déjà pas mal...Il faut aussi se rappeler que le Goncourt ce n'est pas le prix Nobel (ce n'est même pas le Booker Prize) et qu'il faut bien choisir un roi parmi les aveugles, fut-il un peu borgne. (je vais m'attirer des ennemis mais tout de même, ne le mettez pas dans la même cour que les Musso, Gavalda et autres Levy, s'il vous plaît). Il faut bien un lauréat et je ne suis pas sûre que le choix soit si étendu que ça.

Pour finir, pour ce qui est du sacre attendu et prémédité, je dois dire que ça ne me fait ni chaud ni froid, es-tu vraiment sûr que cela n'arrive jamais .... au cinéma? ;)

bernard gaignier a dit…

Bon maintenant ça me revient... c'étaient les nouilles mais pas avec tino rossi... avec Dalida!!!!!Alors peut être que Tino a eu droit aux moules.... mais je ne sais pas dans quel texte.

Emmanuel a dit…

Exact Bernard, dans textes de scène et dernières volontés les nouilles sont pour Dalida et les moules pour Tino Rossi...Tu m'accorde cette victoire Patrick ?

Anonyme a dit…

après une petite recherche... c'est nouilles pour Dalida et Moules pour Tino Rossi. Bravo Bernard.
Gérard

Anonyme a dit…

Bon j'hésitais mais ma curiosité définitivement attisée je vais le lire...quitte a être déçue, nonobstant la vache qui rit... dont j'adore le dessin, et sachant que de toutes façons je relirai avec grand plaisir Julien Gracq et plus que deux chapitres, alors... je ne risque pas grand chose et j'essaierai de garder un sourire... aussi radieux que celui de la petite vache.

Emmanuel a dit…

Après intense recherche et réécoute de Desproges, quel bonheur, je peux certifier que les moules sont bien pour la mort de Tino (en comparaison avec la mort de Brassens). En scène au théatre Fontaine, 1984, dernières volontés. A réécouter d'urgence avec cet humour qui nous manque tant aujourd'hui!

Unknown a dit…

j'adore ce blog merci Emmanuel,Bernard,Gérard pour les recherches desprogiennes ...Clotilde pour l'analyse pertinente ,Antoine et ceux qui veulent lire le livre...avec un sourire radieux!

Dominique a dit…

Emmanuel, tu diras à ta femme que je partage ses goûts !

philippe a dit…

Merci pour la référence par Bernard à Vargas Llosa dont je recommande "La Tante Julia et le scribouillard" qui atteint des sommets dans la création de personnages qui décident de leur vie au sein du roman

bernard gaignier a dit…

Merci Philippe de ce conseil. Je vais aller vite me l'acheter.
Moi je conseille tours et détours de la vilaine fille!!!!
D'accord avec Emmanuel sur son commentaire "desprogien". Bon si je refais un spectacle desproges à Nice... j'aurai peut être un spectateur????

Emmanuel a dit…

Merci Bernard et c'est avec bonheur que j'irai assister à ce spectacle.

Clotilde a dit…

J'ai un fan de Houellebecq à la maison, qui m'a dit qu'il ne comprenait pas pourquoi il avait eu le Goncourt sur ce livre-là (qu'il a trouvé assez nul) mais qui est arrivé à la même conclusion que moi, à savoir que récompenser cet ouvrage en dit long sur la qualité actuelle des écrits français...

emmanuel a dit…

Quel bon livre Houellebecq a-t-il écrit ?

Clotilde a dit…

Je ne sais pas trop, l'amateur est parti faire des courses :))), j'ai trouvé les précédents plutôt intéressants mais sans plus (est-ce que "intéressant" ça commence à être bon ou ce n'est pas assez?). En même temps je ne me suis pas précipitée pour les acheter, ils traînaient à la maison alors je les ai lus.
La qualité d'un livre est quelque chose de très subjectif (heureusement), et j'ai dans mon entourage des gens qui n'aiment pas Gracq mais adorent Houellebecq, d'autres qui adorent les deux, et enfin certains comme moi qui n'aiment que le premier. Tous les cas de figure sont possibles. Je crois bien évidemment que la plupart mettent Gracq au-dessus de Houellebecq (j'ai besoin de le préciser?), mais un bon livre sera bon pour quelqu'un parce qu'il aura éveillé des choses, des émotions en rapport avec le parcours de quelqu'un. Le rivage des syrtes a longtemps été mon livre préféré parce que j'avais un problème avec l'autorité, mais beaucoup s'y emmerdent comme des rats morts et ne le trouvent pas bon, je ne le comprend pas mais je l'accepte.
C'est pareil pour Duras, que tant de gens méprisent alors qu'elle est pour moi au sommet de la littérature française, avec d'autres bien sûr.
Houellebecq est un auteur, en dessous de ceux-là bien sûr, mais c'est un écrivain relativement important, qu'on l'aime ou non, ce n'est pas grave. Ce n'est pas le cas de certains autres qu'on oublie aussitôt lus, si tant est qu'on soit arrivé au bout...