18 novembre 2010

Tenir les « stats », de Baltimore à Nice

The wire

Depuis quelques semaines, je découvre la série HBO The wire (« Sur écoute ») avec beaucoup d’intérêt.

Elle a pour thème la criminalité dans la ville de Baltimore à travers la vision de ceux qui la vivent au quotidien : policiers, trafiquants, élus, dockers…

Pas du tout manichéenne, cette série a un aspect quasi-documentaire, notamment sur les méthodes policières. Or, à Baltimore, celles-ci sont presque entièrement guidées par une « culture du résultat » revendiquée non seulement par le maire et les politiques de la ville mais aussi par des cadres policiers et des juges également élus (nous sommes aux USA). Du coup, on exige des policiers de terrain qu’ils ne se préoccupent plus de l’efficacité réelle de leurs actions : il faut tenir « les stats »…

Des enquêtes de plusieurs mois peuvent ainsi être sacrifiées pour juguler une forme de délinquance de rue anodine mais statistiquement signifiante. La sécurité réelle des habitants de Baltimore, quel que soit le professionnalisme de Mc Nulty, Daniels ou Kima, les héros de The wire, passe au second plan.

Aussi, je n’ai pas manqué de penser aux flics de Baltimore quand j’ai lu les pages consacrées à la sécurité des Azuréens dans le rapport du Préfet sur « L’activité des services de l’Etat dans les Alpes-Maritimes en 2009 ».

Alors qu’en tant qu’élu de terrain, je ne cesse de voir la sécurité de nos concitoyens se dégrader, les statistiques présentées marquaient pratiquement une baisse de toutes les formes de délinquance. Et de me souvenir qu’un certain ministre de l’Intérieur, nommé Nicolas Sarzozy, après avoir grossièrement caricaturé le bilan de la police de proximité installée par le gouvernement Jospin, avait brutalement imposé la culture du résultat en France, dans un premier temps pour la police (plus tard, ce sera pour le Pôle Emploi, l’administration des Impôts, et la quasi-totalité des services publics).

En opposant ma perception de la réalité et les chiffres énoncés par le document, je me suis dis que, dans le 06, à défaut d’avoir fait reculer vraiment l’insécurité, on avait bien « tenu les stats »…

Ce matin, c’est donc logiquement qu’au nom de Gauche Autrement, Dominique Boy Mottard s’est exprimée sur ce thème au cours de la séance plénière qui permet au Préfet de s’expliquer devant l’Assemblée départementale :

« Pour commencer, je souhaiterais dire quelques mots sur le chapitre de la sécurité des Azuréens qui représente quand même presque le tiers de votre rapport. 

Permettez-moi de vous dire que je ne suis pas vraiment convaincue par l’abondance des chiffres qui laisseraient supposer une baisse substantielle de la délinquance dans notre département. On connaît la fiabilité très fragile de ce type de statistiques nourries de la désormais célèbre culture du résultat. 

Elue de terrain dans une grande ville, je peux vous assurer qu’ils ne correspondent pas à ce que la population ressent (d’ailleurs, vous l’avez reconnu dans votre intervention). Attaques à main armée, trafic de stupéfiants, viols autour de la ligne de tramway, affrontements de bandes, incivilités : nous pouvons témoigner, qu’au moins dans les quartiers de Nice Nord, l’insécurité semble avoir progressé. Et ce malgré le travail fait sur le terrain par les services de police (qu’il s’agisse de la police nationale ou de la police municipale) avec les moyens qui sont les leurs.

Les chiffres peuvent être trompeurs : la culture du résultat a des effets pervers, on le sait tous et vous probablement le premier. Si les citoyens qui souhaitent porter plainte doivent aller à l’autre bout de la ville, si les délais d’attente sont trop longs, ça décourage… Ça améliore les statistiques, mais ça donne une fausse image de la réalité.

Nous n’avons pas, à Gauche Autrement, le culte des moyens supplémentaires à tout prix, mais il faut admettre qu’en matière de police, seule l’augmentation des moyens humains à travers le retour d’une véritable police de proximité pourra améliorer en profondeur, par la dissuasion et la prévention, la situation. La police d’intervention a certes son utilité, mais seulement dans un deuxième temps (...) »

Pour rompre avec cette néfaste politique du résultat, le ministre de l’Intérieur pourra donc revoir avec profit les cinq saisons de The wire ou s’inspirer de la toute nouvelle conversion du maire de Nice en faveur de la police de proximité…

2 commentaires:

Emmanuel a dit…

Sarkozy l'Américain, dixit Eric Besson quand il était encore socialiste, avait humilié les policiers de Toulouse et leur commissaire, promoteur de la police de proximité à la Jospin, en leur disant qu'ils n 'étaient pas là pour jouer aux football avec les délinquants mais pour les arreter...On peut penser que le nouveau Sarkozy comme le beaujolais nouveau va changer de gout...C'est fini la rupture ? En tous cas pour Woerth, c'est la descente aux enfers...médiatiques.

pandou a dit…

A l'heure actuelle, dans toutes les administrations l'efficacité et le discernement sont sacrifiés sur l'autel de la statistique. Beaucoup de petits chefs arrivistes appliquent stricto sensu les directives ministérielles en aveugle car ils sont incapables d'avoir par eux-mêmes une vue d'ensemble des situations réelles sur le terrain et ouvrent bien grand les parapluies salvateurs de leur avancement et de leur égo. Les notes de services sont atteintes d'une obésité chronique où les acronymes s'accumulent pour les rendre encore un peu plus obscures. Cette situation générale est la plupart du temps bien mal vécue par la base, surtout chez les anciens qui ont appris à travailler avec conscience et une vraie notion du service public, désormais cantonnés à « faire avancer la stat » quotidienne. Il faut avouer qu'il est tout de même tristement passionnant et constructif pour nos dirigeants d'examiner à la loupe des colonnes de chiffres qui ne veulent absolument plus rien dire à force d'être façonnées selon leurs directives...
Fort heureusement dans ce nœud gordien il existe encore quelques rares chefs de service intelligents... si si j'en ai côtoyé, qui ont encore un peu de réalisme et d'autonomie, et je dis merci à ceux et celles trop rares aujourd'hui qui ont su garder leur personnalité et leurs qualités pour gérer au mieux les situations administratives tout en étant appréciés dans leur service.