17 mai 2011

Marxiste tendance Marcel

FESTIVAL DE CANNES N°4

Entre obligations politiques et obligations professionnelles, ce sont cinq films que j’ai pu grappiller sur la Croisette depuis dimanche. Suffisamment pour avoir définitivement acquis la certitude que le Festival 2011 sera un grand cru.

Le Havre

The artist, Michel Hazanavicius (France)

Une vedette du cinéma muet se trouve confrontée à l’arrivée du cinéma parlant et à la concurrence d’une jeune figurante devenue star. Si le scénario ne brille pas par son originalité, la forme est plutôt inattendue. Hazanavicius nous propose en effet un film muet en noir et blanc. Le résultat est plus qu’honorable et a provoqué une des plus longues standing ovations à laquelle il m’ait été donné d’assister à Cannes en soirée. Devant ce déferlement d’enthousiasme, Jean Dujardin, le héros du film, esquissera même quelques pas de danse pour masquer son émotion.


Hors Satan, Bruno Dumont (France)

Depuis « L’Humanité » et « Flandres », vus ici même en 1999 et 2006, je suis un inconditionnel de ce cinéaste nordiste discret et inclassable, suscitant souvent l’incompréhension de mes proches nettement moins enthousiastes.

Sur la Côte d’Opale, entre mer et marais, un jeune ermite doté de pouvoirs mystérieux passe ses journées à errer ou à prier. Il se lie d’amitié avec une jeune fille de ferme qui prend soin de lui et le nourrit. Véritable ange rédempteur, en quelques jours, il va tuer un violeur, sauver une enfant, faire l’amour à une épileptique et même ressusciter une morte. A sa façon, il s’emploie à chasser le démon qui rode.

Même si les paysages austères du Nord – Pas de Calais remplacent ceux de Judée ou de Samarie, même si les SDF marginaux se substituent aux prophètes, c’est bien une nouvelle histoire biblique que nous offre Dumont. Satan va finir par lui en vouloir !


The tree of life, Terrence Malik (USA)

Le dernier film de Malik est à la fois l’histoire de la famille O’brien dans le Texas des années 50 avec un père autoritaire et une mère aimante élevant, non sans conflits, leurs trois enfants, mais aussi, et peut-être surtout, une épopée cosmique évoquant, du Big Bang à nos jours, l’histoire de l’humanité.

Il s’agit, après une longue introduction digne de celle de « 2001 : l’Odyssée de l’espace », d’illustrer ce qu’une voix off appelle l’opposition entre la grâce et la nature, l’amour et l’ordre.

Malgré le souffle panthéiste qui parcourt la sublime nature de la campagne texane, on a le sentiment que les épaules des O’brien sont parfois un peu étroites pour porter le fardeau de cette opposition immémoriale entre l’amour universel aux accents new age et l’amour de ce Dieu que les hommes ont inventé pour traverser les espaces glacés de leur mortelle condition.

Même si le film est suffisamment lumineux pour nous aider à choisir, pour ma part, c’est sans aucune hésitation que je prends le parti de Madame O’brien : « Sans amour, la vie passe comme un éclair ».


Le Havre, Aki Kaurismaki (Finlande)

Ex-écrivain reconverti en cireur de chaussures, Marcel Marx rencontre par hasard un enfant africain clandestin. Avec ses amis, déjouant les pièges de la police et des dénonciateurs, il va tout faire pour permettre à l’enfant de rejoindre sa mère à Londres.

Kaurismaki nous offre-là un conte directement issu de l’univers aujourd’hui délaissé du réalisme poétique (un des personnages s’appelle d’ailleurs… Arletty). Avec Marcel et sa femme, les commerçants du quartier, Little Bob le rocker sexta, Chang le faux chinois, Monet le commissaire au cœur d’artichaut amateur d’ananas, Kaurismaki nous offre, comme à son habitude, une galerie savoureuse de personnages décalés, pittoresques, d’une grande humanité, mais restant toujours en phase avec la réalité sociale et politique (on parle beaucoup de Sangatte et de Calais). De quoi devenir marxiste tendance Marcel.

Comme en plus l’histoire et belle et que la ville du Havre, ses couleurs, ses laideurs et son port convient très bien à l’esthétique du réalisateur finlandais, on tient peut-être là une future Palme d’or. D’ailleurs, il y a un signe qui ne trompe pas : ma voisine, qui en est pourtant avare, a essuyé ses premières larmes de l’édition 2011… Alors ?


The Beaver, Jodie Foster (USA)

Walter est dépressif, sa femme finit même par le chasser de la maison pour le bien des enfants. Un soir, il trouve au fond d’une poubelle une marionnette de castor. Désormais, il utilisera celle-ci pour extérioriser toutes les choses qu’il n’ose plus exprimer. Du coup, Walter redevient plus positif et sûr de lui. Le problème qui lui reste à résoudre sera de savoir comment se débarrasser de ce leurre.

Le film de Jodie Foster passionnera sûrement les amateurs de psychologie et de dédoublement de personnalité. Pour ma part, il restera celui qui nous permettra de croiser, au hasard des couloirs, la mythique et belle Jodie.

3 commentaires:

Emmanuel a dit…

Les critiques de Patrick nous permettent de suivre à distance les films du festival malgré l'actualité politique très pesante en ce moment pour les espoirs de la gauche en 2012.
Le cinéma raconte des histoires et je vais donc vous en raconter une. Cincinnatus était un Romain glorieux aux temps de la République pendant l'Antiquité. Il cultivait tranquillement sa terre alors que son pays allait mal. On vint le chercher pour gouverner, il refusa puis accepta à la condition de retourner travailler sa terre une fois sa mission terminée et la République sauvée. Qui peut jouer le rôle de Cincinnatus pour 2012 à gauche ? A bon entendeur, salut...

cléo a dit…

Dès que je fais cette proposition malhonnête : qui veut m’accompagner pour aller voir le dernier film de Bruno Dumont ? Il faut reconnaître que beaucoup et, presque à chaque fois, se débinent. Les arguments ne sont pas toujours les mêmes : je veux me divertir/ toute cette transcendance me fatigue/ Trop de misère, misère…économique, affective, sociale, culturelle etc. Je ne sais pas pourquoi, bien que j’entende tout cela, je finis par y aller quand même et toute seule. Enfin, si… je sais : il y a dans ses films une grâce avec laquelle je ne fais pas du tout corps théoriquement, mais que, à bien des reprises, j’ai sans doute (tout en le niant) eu l’impression d’ éprouver (comme c’est prudent !) Ce qui fait que je vais un peu voir, cet autre regard que j’aurai pu éventuellement, moi ou un/ une autre, porter sur les choses, la nature, les hommes, et qui continue à m’interroger (dans la mesure où il n’est pas le mien), un peu comme deux lectures d’un texte identique qui finit par faire douter de la réalité du texte qu’on a cru avoir sous les yeux mais sans pouvoir répondre à la question : n’y en a t-il pas plusieurs ?( puisqu'il y a plusieurs lectures et qu'un texte sans lecteurs...) Et en commençant juste à répondre : Ce serait dommage d’être certain qu’il n’y en a qu’un.

Quant à Jodie… son sosie mais avec 1O ans de moins(une copine d’une copine) me disait samedi soir que ce serait peut-être amusant, à force d’entendre qu’elle est Jodie Foster d’aller se promener à cannes en ce moment, pour monter un canular. Pour les toilettes, elle a ce qu’il faut. Manque la voiture et, le chauffeur… avis aux amateurs !

Enfin, le film de Kaurismaki , là encore, il faudra attendre… c’est, très, agaçant.

cléo a dit…

Manu, ton histoire est excellente. Il se pourrait que beaucoup, quelques uns suffirait, crie: "Cincinnatus, c'est moi!", dans une fidèlité à la lettre de Flaubert. Toutefois,si la république va mal, ce ne doit pas non plus être sans rapport avec le fait qu'on "manage" le service public, qu'un président soit quelqu'un comme un chef d'entreprise et qu'on fasse passer comme des castings aux hommes politiques. Une analogie, c'est fructueux mais à condition qu'on entende pas par là: c'est exactement la même chose.