14 août 2009

Road movie au Kosovo




CARNET DE VOYAGE N° 5

Jeudi 13 août. Avec pour seul viatique les mails de ma cousine Christine qui vient de passer avec son mari, coopérant, deux ans dans le pays, nous voilà partis à travers le Kosovo, ce petit état qui s’est auto-proclamé indépendant l’an dernier pour exorciser la guerre cruelle d’il y a dix ans. Déjà.

9 heures. Sur les hauteurs de Pristina, nous sommes devant la tombe blanche d’Ibrahim Rugova, le « Gandhi des Balkans ». La simplicité du décor sied bien à celui qui a su porter la revendication de dignité du peuple albanais. J’ai toujours admiré cet homme encore jeune qui s’habillait étrangement comme un retraité frileux et qui, sans bruit et sans violence, avait organisé une société albanaise parallèle aux structures officielles dictées par la Serbie de Milošević.

10 heures. En compagnie de soldats slovènes de la KFOR – qui protège les lieux – nous sommes sur la tour qui domine la plaine de Kosovo Polje au niveau du Champ des merles où, le 28 juin 1389, les Serbes furent battus par les Turcs mais trouvèrent en eux suffisamment de force morale pour faire de cette défaite le mythe fondateur de la Nation serbe. Ce qu’il est toujours aujourd’hui.

11 heures. Cette fois, c’est en franchissant le barrage souriant de soldats suédois (toujours de la KFOR) que nous pénétrons dans le monastère de Gračanica, une merveille de l’architecture médiévale. Mais ce lieu de pèlerinage est surtout au cœur de l’orthodoxie serbe. D’ailleurs, la rencontre inopinée d’un convoi funèbre orthodoxe (caractéristique, avec le cercueil ouvert) achève de nous convaincre que nous sommes dans une enclave de la minorité.

16 heures. Après avoir emprunté la route du sud-ouest, nous arrivons à Prizren. L’ambiance de la ville est orientale et l’on a l’impression d’être dans un petit morceau de Turquie en territoire kosovar. Sur la route de Pristina à Prizren, on peut voir, à flanc de montagne, quelques-uns de ces petits villages mille fois apparus à la télévision au moment de la guerre et qui dès l'été précédant l'invasion, étaient contrôlés par l’UCK. D’ailleurs, de nombreux monuments rendent hommage aux combattants de cette organisation dans les agglomérations que nous traversons.

19 heures. Nous sommes remontés par la route du Nord de ce pays grand comme un département français pour passer symboliquement le pont de Mitrovica. La ville est pratiquement coupée en deux entre Albanais et Serbes. La ligne de démarcation passe sur un pont qui enjambe la Sitnica. C’est sur ce pont qu’en 2004 puis 2008 se sont déroulés des affrontements sanglants provoquant de nombreuses victimes. Discrètement, nous passons en voiture du côté serbe, malgré les recommandations du ministère français des Affaires étrangères qui déconseillait plutôt la chose. En fait, rien de spécial à noter, à part l’ambiance lourde attestée par la présence de nombreux soldats internationaux et policiers locaux. En nous promenant le long de la rivière, nous sommes quelque peu atterrés par ce nouveau Mur de Berlin en devenir.

21 heures. La boucle est bouclée, nous sommes de retour à Pristina. Le périple s’achève par une quarantaine de kilomètres effectués de nuit ce qui, ici, est assez hasardeux. Il faut dire, en effet, qu’à côté d’un conducteur kosovar, un kamikaze japonais est un trouillard coincé !

Que d’émotions en une seule journée… une journée qui est aussi une réponse à la remarque du commentateur anonyme qui a dit ici même, suite à mon précédent post, à propos du Kosovo : « L'invasion serbe du Kosovo... comment un pays peut il s'envahir lui-même ? ».

Si cette fausse question visait à refuser aux Albanais le statut de victimes, elle friserait, il faut bien le dire, le négationnisme. Par contre, si elle sous entendait que les Serbes avaient quelques arguments historiques, culturels, religieux à faire valoir sur cette région, elle était parfaitement valable, Kosovo Polje et Gračanica en attestent.

C’est aussi une façon de rappeler que, dans cette région des Balkans, chaque peuple peut prouver à l’autre qu’il est plus légitime sur un territoire donné. Ce qu’il faut éviter, c’est d’ouvrir la boîte à Pandore des justifications historiques. En laissant la Yougoslavie exploser, c’est pourtant ce que l’Europe a fait. A elle de la refermer.

Pont de Mitrovica

3 commentaires:

Dominique a dit…

La proximité de la tombe de Rugova avec le monument patriotique de l'époque yougoslave, que l'on voit au fond de la photo et qui est dans un état de grand abandon, laisse rêveur.

Clotilde a dit…

Je suis quand même contente de voir ta réponse à la question de l'anonyme du post précédent, question que je n'avais pour ma part absolument pas prise de travers.
Mais moi, c'est la boîte de Pandore des commentaires rageurs que je ne tenais pas à ouvrir...

Bogdan a dit…

Bonjour Monsieur Mottard.

Je répond avec un peu de retard suite à mon commentaire. Contester le statut de victime aux Albanais ? Il n'en est pas question un instant. Mais faire remarquer que, malgré la création imposée, sans bases légales, du Kosovo, cette terre restera profondément imprégnée historiquement de la culture et de l'âme serbe et sera toujours partie intégrante de celle-ci, là oui ! Les larmes d'une mère serbe ou albanaise ont le même poids, la même valeur et cela n'aurait jamais du finir ainsi. Oui la boîte de Pandore a été ouverte, mais surtout par ceux qui ont créé injustement cet état, qui n'est d'ailleurs pas viable comme on commence à s'en apercevoir. Cela prendra le temps qu'il faudra, 100 ans s'il le faut, mais cette province retournera à la nation serbe.

Bien à vous.