20 février 2012

Les pages que j’aurais aimé écrire (9)




Le 1er juin 2010, j’inaugurais cette rubrique avec Proust. Pour la huitième page, je pars à nouveau à la recherche de ce temps perdu qui l’est si peu pour tous ceux qui, comme moi, aiment l’immense Marcel.

«  Comme les différents hasards qui nous mettent en présence de certaines personnes ne coïncident pas avec le temps où nous les aimons, mais, le dépassant, peuvent se produire avant qu’il commence et se répéter après qu’il a fini, les premières apparitions que fait dans notre vie un être destiné plus tard à nous plaire, prennent rétrospectivement à nos yeux une valeur d’avertissement, de présage. C’est de cette façon que Swann s’était souvent reporté à l’image d’Odette rencontrée au théâtre, ce premier soir où il ne songeait pas à la revoir jamais – et qu’il se rappelait maintenant la soirée de Mme de Saint-Euverte où il avait présenté le général de Froberville à Mme de Cambremer. Les intérêts de notre vie sont si multiples qu’il n’est pas rare que dans une même circonstance les jalons d’un bonheur qui n’existe pas encore soient posé à côté de l’aggravation d’un chagrin dont nous souffrons. »

11 commentaires:

Emmanuel a dit…

Avec ceux que nous aimons, nous avons cessé de parler et ce n'est pas le silence. René Char
J'aurai aimé être capable d'écrire de la poésie...

Anonyme a dit…

Toutes mes félicitations !

alaind a dit…

"Tu vomis les jongleries politiques, mais en même temps tu est en train de fabriquer une autre sorte de mensonge, littéraire cette fois, car la littérature est réellement mensonge; elle dissimule la motivation secrète de l'auteur: la recherche du profit ou de la célébrité. Tant que cette utilité et cette vanité n'ont pas été satisfaites, on ne peut arrêter sa plume, on obéit naturellement à des impulsion instinctives encore plus profondes, comme un animal. Mais la différence entre les animaux en général, c'est que cette pulsion est irrésistible et continue, elle ne subit pas l'influence de la faim et de l'alternance ds saisons, elle est incoercible, comme une excrétion
- quand on doit excréter on excrète - , mais au contraire de l'excrétion des matières fécales, on s'en remet aux sentiments et à l'esthétique; la tristesse par exemple, il faut l’intégrer en même temps que le plaisir dans le langage. En dénonçant la patrie, le Parti, les dirigeants, l'idéal, l'homme nouveau, tout en dénonçant aussi la révolution, - superstition et tromperie moderne- tu tisses à l'aide de la littérature un rideau de gaze, mais à travers ce rideau, les ordures apparaissent plus ou moins. Tu te dissimules à l'avant de ce rideau, tu te mêles secrètement aux spectateurs, tu y prends plaisir et même une certaine satisfaction." Je n'aurais pas aimé être à la place de cet auteur, dans ces moments là... mais j'ai admiré son œuvre. Gao Xingjian : Le livre d'un homme seul. Prix nobel de littérature.

penelope a dit…

« Rien n’est réel sauf le hasard. »
Paul Auster
Extrait du Cité de verre

Le Mouton Enragé a dit…

Il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous.
P. Eluard

bernard gaignier a dit…

Nous le sentons tous en nous, comme une angoisse qui nous serre la gorge, le gout de la vie qu'on ne satisfait jamais, qu'on ne peut jamais satisfaire, parce que la vie, au moment même où nous la vivons est tellement avide d'elle qu'elle ne se laisse pas savourer. la saveur est dans le passé. le goût de la vie nous vient de là des souvenirs qui nous tiennent enchaînés...
Pirandello, la Fleur à la bouche

helyette a dit…

« La vie, voyez-vous, ça n'est jamais si bon ni si mauvais qu'on croit. »
Une vie de Guy de Maupassant.

cléo a dit…

J'ai fait circuler le passage aux proustiens de ma connaissance ( c'est à dire à ceux qui en pleine journée osent, à la place d'un texto insipide, me laisser sur mon répondeur la trace de quelques pages de la recherche, et ce à ma plus grande joie. Evidemment le répondeur sature vite mais!On s'en fiche pas mal... car aussitôt, le monde qu'on a sous les yeux n'est plus du tout le même et gagne en profondeur)car si moi je l'avais oublié, il est possible qu'il en fut de même pour eux. Merci, et pour l'instant et pour l'espoir, que ces quelques lignes suscitent.

cléo a dit…

Quelqu’un a t-il déjà tenté d’encombrer les portables avec ce genre de littérature ?
« 1 mat1, osortir d’1rev agiT, Greg S. Seveya transformé ds son Li en 1 vréman vermin. Il ct Cooché sur le do, un do dur Com’1 cuiras, é, en levant un peu la tetê, il s’aperçu K ill avé un ventr br1 en forme (smiley) de vout/par des nrvur arcé. La coovertur, à pein retenue par le sommé de 7 édifis, été pré de tomB cplmt, et les pat de Greg, ptyablmt m1s pour son gros cor papiyoT devant sé Zieu. Kemé til arriV ? »

VITUChristian a dit…

Votre publication, et la citation que vous donnez en extrait de Proust, me donne à la fois le regret de n'avoir jamais eu le courage de lire au-delà de quelques pages de ce géant de la littérature, et en même temps un fort désir de me remettre à la découverte de ce temps perdu si bien décrit par Marcel; soyez-en remercié.

alaind a dit…

Un livre est un objet constitué de fibres plus ou moins végétales et d'encre d'imprimerie. Il demeure qu'un livre vous parle, et parfois se pose en un instant, inopiné, imprévu, soudainement pertinent sur le moment que vous êtes en train de vivre ou de penser, sur votre vision de l'actualité. Ci-dessous arrive en ce Vendredi, le présent passage de Demian, de mon auteur préféré qui est Hermann Hesse.


"Le maître nous avait parlé du Golgotha. Le récit biblique des souffrances et de la mort du Sauveur m’avait toujours profondément impressionné et dans mon enfance, le Vendredi Saint, après la lecture par mon père du récit de la Passion, je vivais intimement, plein d’émotion et de ferveur sacrées, dans ce monde douloureux, pâle et beau, fantomal, et cependant infiniment vivant : à Gethsémani et sur le Golgotha. Et pendant l’audition de la Passion selon saint Matthieu de Bach, la souffrance obscure, puissante et éclatante de ce monde mystérieux me submergea d’un flot de frissons mystiques. Aujourd’hui encore, je trouve dans cette musique et dans l’Actus tragicus l’expression de tout art et de toute poésie.
A la fin de la leçon, Demian me dit d’un air pensif :
« Il y a là, Sinclair, un aspect qui me déplait. Relis l’histoire et goûte là sur la pointe de la langue ; il y a quelque chose de fade : le passage qui concerne les deux larrons. Elle est sublime cette évocation des trois croix qui se dressent côte à côte sur la colline ! Mais voici qu’arrive ce récit sentimental, cette petite histoire de brochure pieuse qu’est la scène avec le bon larron ! Il a été un criminel ; il a commis Dieu sait quelles actions monstrueuses, et maintenant il larmoie sur ses péchés et manifeste un repentir pleurard. Quelle valeur peut avoir, à deux pas de la tombe, un tel repentir, je te prie ? Mais ce n’est là qu’une histoire inventée par les prêtres, douceâtre et malhonnête, onctueuse, attendrissante avec un arrière fond édifiant. Si, aujourd’hui, tu avais à choisir un ami parmi ces deux larrons, auquel des deux accorderais tu plutôt ta confiance ? Certes, non à ce converti pleurnichard, mais à l’autre. C’est là un type ! Il fait preuve de caractère. Il se moque d’une conversion, qui, vu sa situation, ne serait que belles phrases et, au dernier moment, il ne renonce pas lâchement au Diable qui a du l’aider jusqu’à ce moment là ». …