07 juin 2012

Les pages que j’aurais aimé écrire (10)




Le mal vivre et l’incommunicabilité entre les hommes et les femmes de l’Italie de l’après-guerre constituent l’essentiel de l’œuvre de Cesare Pavese (il finira d’ailleurs par se suicider). Son univers est très proche de celui du réalisateur Michelangelo Antonioni. Ce n’est donc pas un hasard si le second adapte des œuvres du premier au cinéma. Ainsi, Le bel été qui commence par ces premières lignes tout en désespérance retenue.

            « A cette époque-là, c’était toujours fête. Il suffisait de sortir et de traverser la rue pour devenir comme folles, et tout était si beau, spécialement la nuit, que, lorsqu’on rentrait, mortes de fatigue, on espérait encore que quelque chose allait se passer, qu’un incendie allait éclater, qu’un enfant allait naître dans la maison ou, même, que le jour allait venir soudain et que tout le monde sortirait dans la rue et que l’on pourrait marcher, marcher jusqu’aux champs et jusque de l’autre côté des collines. (…)

            Ginia, quand une de ses crises la prenait, n’en laissait rien paraître, mais, raccompagnant chez elle l’une des autres, elle parlait, parlait jusqu’au moment où elles ne savaient plus que dire. De la sorte, lorsque arrivait l’instant de se quitter, il y avait déjà un bon moment qu’elles étaient chacune comme seules, et Ginia rentrait chez elle calmée et sans regretter de n’avoir plus de compagnie. »

15 commentaires:

Dominique Dufour a dit…

Un peu déchirant Pavese.....Guillaume Musso est plus optimiste et niçois en plus.

Marianne ClaireObscure a dit…

Audacieuse comparaison :D Mais oui, les génies et les grands artistes sont souvent mélancoliques

Marianne ClaireObscure a dit…

Très bel extrait. Ou comment épuiser l'attente sans fond qui nous consume.

Cléo a dit…

Dans le "toujours fête", la joie débordante après le passage à la mairie, c'est inclus?

Cléo a dit…

De pavese, je ne connais que le métier de vivre. Magnifique. Donc, le bel été pour cet été...
Une page que j'aurai aimé écrire. Elle est tirée d'Une femme fuyant l'annonce de David Grossman.

" Autrefois, quand il la regardait de cette façon, elle mettait son coeur à nu, ne lui dissimulant rien. Lui seul avait le droit de lire en elle à livre ouvert. Pas même Illan. Elle le laissait_ quel mot horrible, "laisser"_ elle laissait Avram regarder en elle, pratiquement le jour de leur rencontre, car elle avait le sentiment, la conviction, qu'il y avait quelque chose en elle, ou quelqu'un, peut-être une Ora plus fidèle à sa véritable nature, plus conforme, moins vague, qu'Avram semblait capable d'atteindre. Il était seul à pouvoir vraiment la connaître, la bonifier d'un regard, par sa simple présence. Sans lui, elle n'existait pas, tout simplement, elle n'avait pas de vie, et donc elle lui appartenait de droit en quelque sorte. C'était vrai quand elle avait seize , dix-neuf, vingt deux ans, mais aujourd'hui? Elle détourne brusquement son regard, de crainte qu'il ne la blesse, qu'il ne la punisse ou ne se venge de quelque chose. Et s'il découvrait qu'il n'y a plus rien en elle, que l'ancienne Ora s'est desséchée, éteinte en même temps que ce qui s'est desséché et éteint en lui?
Assis à même le sol, ils essaient de comprendre, d'assimiler les événements. Les bras autour de ses genoux repliés, Ora réfléchit: elle n'est plus aussi limpide et perméable qu'auparavant; l'accès de ce territoire secret est interdit, même à elle. C'est l'âge ,sans doute, raisonne t-elle_depuis ,une certain temps elle éprouve le besoin de verbaliser la décrépitude, aspirant au soulagement qui accompagne l'aveu de la défaite. C'est ainsi. On prend congé de soi-même avant les autres, comme pour atténuer le coup fatal."

Unknown a dit…

Bon avec ces pages magnifiques mais désespérantes je vais être obligé de refaire un post sur Audiard...

Anonyme a dit…

Très Belle Page qui me "parle"...
Je connais ces moments de "crises" qui me prennent où je parle, je parle, je parle, jusqu'à ne savoir que dire...

Anonyme a dit…

et moi je parle jusqu'a ce que j'ai quelque chose d'interressant a dire !!
Pénélope

bernard gaignier a dit…

QUAND MON CORPS SUR TON CORPS
LOURD COMME UN CHEVAL MORT
NE SAIT PAS NE SAIT PLUS
S'IL EXISTE ENCORE


C'est pas plus beau que tous vos trucs????

Cléo a dit…

AhAh! raJonhny nous sommes mais de disque, point ne change rage mais? Bernard! Combien y pèse d'abord? Non parce que "toute écrasée ou zé" quand bien même lui se survivrait...

Emmanuel a dit…

Le Bel été, je l'ai lu il y a 20 ans mais je n'ai jamais oublié cette première phrase que j'avais citée sur un blog précédent. Le hasard faisant bien les choses, je suis entrain de lire "le métier de vivre" du même Pavese.
Métier qu'il n'a pu mener à terme car il s'est suicidé...
Bernard ose la comparaison avec un chanteur bien connu mais je pense que ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
"Lourd comme un cheval mort", comme c'est beau , on dirait du.........

bernard gaignier a dit…

J'ai trouvé mieux:


La mélancolie
C'est les yeux des chiens
Quand il pleut des os
C'est les bras du Bien
Quand le Mal est beau
C'est quelquefois rien
C'est quelquefois trop
La mélancolie
C'est voir dans la pluie
Le sourir' du vent
Et dans l'éclaircie
La gueul' du printemps
C'est dans les soucis
Voir qu'la fleur des champs
La mélancolie

C'est regarder l'eau
D'un dernier regard
Et faire la peau
Au divin hasard
Et rentrer penaud
Et rentrer peinard
C'est avoir le noir
Sans savoir très bien
Ce qu'il faudrait voir
Entre loup et chien
C'est un désespoir
Qui a pas les moyens
La mélancolie

alain a dit…

Pavese et ses Collines, rappel des formes, rappel des femmes, ses ambiances de l'été désœuvré, les amours impossibles, un peu comme"In the mood for love" c'est beau mais... c'est triste.

Rien que le titre: "Travailler fatigue, la mort viendra et elle aura tes yeux".

C'est un de mes livres de chevet.

Cléo a dit…

Mieux?! mais c'est un plaggiat!
d' "Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mélancolie
Des soleils couchants.
La mélancolie
Berce de doux chants
Mon coeur qui s'oublie
Aux soleils couchants.
Et d'étranges rêves
Comme des soleils
Couchants sur les grèves,
Fantômes vermeils,
Défilent sans trêves,
Défilent, pareils
À des grands soleils
Couchants sur les grèves."

j'savais que Nietzsche pensait comme Jonnhy mais si Verlaine s'y met!


Paul Verlaine (Poèmes saturniens

bernard gaignier a dit…

Pour Cleo c'était pas du plagiat mais du Leo Ferre
Disons qu'il y a une inspiration...
Et je n'ai pas mis tout le texte