16 décembre 2012

Gas



Les hasards de la vie universitaire me conduisent cette année, de temps en temps, du côté de Menton. Après quatre heures de cours, la nuit est déjà tombée quand je reprends la route ou plutôt l’autoroute pour rentrer sur Nice.

Rituellement, je m’arrête quelques minutes pour décompresser sur la dernière aire un peu avant La Turbie. Et là, immanquablement, l’image de cette banale station Esso et de sa supérette me plonge dans l’atmosphère un peu irréelle de l’œuvre d’Edward Hopper « Gas », croisée il y a quelques années au MoMA de New York. Autre époque (le tableau date de 1940), autre lieu (la Nouvelle-Angleterre), mais l’émotion est la même. Le paradoxe étant que l’onirisme discret qui se dégage de la scène vécue comme de la peinture trouve ses racines dans la banalité de bâtiments sans grâce et d’objets inesthétiques en soi émergeant d’une obscurité indéfinie.

Il ne s’agit pas de sublimer le banal mais de se rappeler que l’extraordinaire est au cœur de l’ordinaire et que ce dernier n’a rien à voir avec le connu. Ce que Stanley Cavell appelle « l’inquiétante étrangeté de l’ordinaire ». Une inquiétude féconde. Alors, pourquoi ne pas plonger ? de temps en temps.


12 commentaires:

Anonyme a dit…

j'aime beaucoup HOPPER...

apprécier "la beauté" des vues ordinaires ne m'inquiète pas, bien que je sois d'accord avec ce sentiment étrange qui nous envahit dès qu'on les observe...à vrai dire elles me rendent surtout mélancolique...

Dominique Dufour a dit…

Patrick surréaliste?

Dominique Dufour a dit…

Et le Matérialisme Historique?

Cléo a dit…

Ses oeuvres nous apprennent à voir, là où on regarde: des pompes qui servent à remplir d'essence le réservoir d'un véhicule dont la finalité est aussi (selon le type de véhicule) de rouler. je pensais à une expression: "je ne peux plus voir une station service en peinture!", à dévier: "je ne peux plus voir une station service autrement qu'en peinture".

Claudio a dit…

On s'y croirait. Plongeons donc.

(Je partage un Gas Prom très tiré par les cheveux)

Christian Vitu a dit…

Le banal sait aussi être beau, c'est une question d'instant

bernard gaignier a dit…

Sur le dernier CD de Johnny il y a une chanson sur Hopper!

Emmanuel a dit…

Une belle preuve qui montre que parfois l'art est dans notre quotidien et qu'il suffit de regarder !

Marianne ClaireObscure a dit…

C'est un des bénéfices de la fréquentation des œuvres d'art, que d'associer ainsi au quotidien le spectacle que nous avons sous les yeux aux échos des tableaux contemplés. Ainsi, tel point de vue du château m'évoque immanquablement une estampe japonaise, avec son pin à contre-jour, découpé sur le rocher. Et les terrasses du cours Saleya à la nuit tombée peuvent rappeler "le café le soir", de Van Gogh. Patrick, vous pourriez ouvrir une galerie de ces "échos" visuels sur votre blog ?

Anonyme a dit…

Tu as raison Emmanuel. La réciproque est vraie mais il faut être vigilant car on passe très rapidement du "quotidien est dans l'art" au "quotidien est dans le lard" et là ça va plus.

Anonyme a dit…

"Il ne s’agit pas de sublimer le banal mais de se rappeler que l’extraordinaire est au cœur de l’ORDINAIRE et que ce dernier n’a rien à voir avec le connu".J'adore. Et en plus, sacrément adapté au lieu...........
AlexandreR

alaind a dit…

j'aime aussi beaucoup Hopper...
J'ai vu, de près, quelques toiles à la fondation l'Hermitage à Lausanne. Mon épouse m'a alors ouvert à ce monde de lumière.
L'art peut se manifester partout, une situation, une émotion, un peu de lumière, ou un éclat subtil, et se révèle un dialogue au delà du réel, ou le réel se manifeste en deçà du quotidien.