26 novembre 2011

Elles te feront un blanc manteau…



Depuis dix jours, nombreux étaient les amis ou connaissances qui me recommandaient d’aller voir le dernier film de Robert Guédiguian, Les neiges du Kilimandjaro, que nous avions manqué lors du dernier festival de Cannes où il était présenté dans le cadre de la sélection « Un certain regard ». C’est fait depuis ce samedi, et ils avaient bougrement raison.

Ce nouveau drame social du réalisateur marseillais est effectivement un très beau film, je dirais même plus : deux très beaux films ! En effet à la lumineuse aventure du couple Marie-Claire/Michel (Ascaride/Darroussin), se juxtapose un documentaire crépusculaire sur la fin d’un monde, celui de la civilisation industrielle, de la mémoire ouvrière et des vertus républicaines.

Si l’histoire qui sert de fil rouge au film est un véritable conte de fées (où la fée serait membre de la CGT) librement inspiré du poème « Les pauvres gens » de Victor Hugo, l’environnement dans lequel elle se déroule est d’une tristesse infinie avec des personnages sans espoir parce que sans avenir comme ce jeune ouvrier qui sombre dans la délinquance après un licenciement pour subvenir aux besoins de ses deux jeunes frères ou cette mère qui largue amarres et enfants pour vivre sa pauvre vie…

Du coup on a envie de pleurer deux fois. La première comme à la fin d’un film de Frank Capra, la deuxième comme devant un plan de licenciements après délocalisation.
Dans la scène-clé du film, l’héroïne proteste avec tendresse quand sa famille reprend en cœur et en son honneur Les neiges du Kilimandjaro, sa chanson fétiche, en disant « Ce n’est pas un peu triste, non ? ». Peut-être, mais tellement dans le ton du film où Guédiguian nous dit qu’il faut s’accrocher à de belles histoires parce que tout fout le camp. Inexorablement.

8 commentaires:

Emmanuel a dit…

Ephémères les neiges du Kilimandjaro, réchauffement climatique oblige. Ephémère aussi son interprète, Pascal Danel dont c'est le seul titre que je connaisse de lui.
Quant à Robert Guédiguian, je n'ai vu qu'un seul de ces films mais ce n'était pas pour lui, c'était pour le sujet qui concernait un de mes personnages préférés. Il s'agit du Promeneur du champs de mars. Voilà pourquoi je suis très mal placé pour parler de lui...

cléo a dit…

Guédiguian j'aime comme on aime un frère et la justesse des instants de vie sans fioriture. Mais là, j'ai eu plus de mal avec le peu d'espoir laissé et des sentiments que j'aurai voulu présents avec plus de complexité. Ce qui n'a pas empêché l'émotion accompagnée de quelques râleries. Surtout touchée par ce couple qui n'est pas ensemble jusqu'aux neiges par hasard. Entre eux, un silence qui accompagne et des mots, même si tous ne sont pas "pensés", qui ne posent pas. Pour ma part, je retiens cela!

Anonyme a dit…

Le petit bateau de papier qui s'enfuit dans l'eau du caniveau dès les premières minutes, juste après le tirage au sort de Michel sur les docks en pleine crise de licenciements et son dialogue poignant avec Raoul donne le ton en alternance d'atmosphères.
Est-ce un air de la plage aux romantiques qu'on entend dans le lointain lorsque l'amour laisse entrevoir les animaux de la savane dans les attitudes des baigneurs ... c'est sans doute aussi vrai qu'apprendre le swahili quand on est au chômage.
Adultes et enfants vont s'accrocher à une parenthèse enchantée, et le film ne peut que s'arrêter sur ces scènes poignantes, car dans la vie les belles choses ne durent jamais, la complicité du couple vedette est un cliché auquel on a envie de croire, et mieux vaut laisser l'imaginaire ne pas retomber immédiatement dans la réalité pour rêver encore un peu .... c'est vrai ça fait du bien.

Clotilde a dit…

Sans espoir parce que sans avenir? Alors il leur restera peut-être la liberté.
"On est et on demeure esclave aussi longtemps que l'on n'est pas guéri de la manie d'espérer."

Les films de Guédiguian ne sont jamais gais mais ils rendent quand même toujours heureux.

Dominique a dit…

(...)
"C'est toi !" cria Jeannie, et, contre sa poitrine,
Elle prit son mari comme on prend un amant,

Et lui baisa sa veste avec emportement

Tandis que le marin disait : "Me voici, femme !"

Et montrait sur son front qu'éclairait l'âtre en flamme

Son coeur bon et content que Jeannie éclairait,

"Je suis volé, dit-il ; la mer c'est la forêt.

- Quel temps a-t-il fait ? - Dur. - Et la pêche ? - Mauvaise.

Mais, vois-tu, je t’embrasse, et me voilà bien aise.

Je n'ai rien pris du tout. J'ai troué mon filet.

Le diable était caché dans le vent qui soufflait.

Quelle nuit ! Un moment, dans tout ce tintamarre,

J'ai cru que le bateau se couchait, et l'amarre

A cassé. Qu'as-tu fait, toi, pendant ce temps-là ?"

Jeannie eut un frisson dans l'ombre et se troubla.

"Moi ? dit-elle. Ah ! mon Dieu ! rien, comme à l'ordinaire,

J'ai cousu. J'écoutais la mer comme un tonnerre,

J'avais peur. - Oui, l'hiver est dur, mais c'est égal."

Alors, tremblante ainsi que ceux qui font le mal,

Elle dit : "A propos, notre voisine est morte.

C'est hier qu'elle a dû mourir, enfin, n'importe,

Dans la soirée, après que vous fûtes partis.

Elle laisse ses deux enfants, qui sont petits.

L'un s'appelle Guillaume et l'autre Madeleine ;

L'un qui ne marche pas, l'autre qui parle à peine.

La pauvre bonne femme était dans le besoin."




L'homme prit un air grave, et, jetant dans un coin 

Son bonnet de forçat mouillé par la tempête :

"Diable ! diable ! dit-il, en se grattant la tête, 

Nous avions cinq enfants, cela va faire sept. 

Déjà, dans la saison mauvaise, on se passait 

De souper quelquefois. Comment allons-nous faire ? 

Bah ! tant pis ! ce n'est pas ma faute,
C'est l'affaire 
Du bon Dieu. Ce sont là des accidents profonds. 

Pourquoi donc a-t-il pris leur mère à ces chiffons ? 

C'est gros comme le poing. Ces choses-là sont rudes.

Il faut pour les comprendre avoir fait ses études.
Si petits ! on ne peut leur dire : Travaillez. 

Femme, va les chercher. S'ils se sont réveillés, 

Ils doivent avoir peur tout seuls avec la morte. 

C'est la mère, vois-tu, qui frappe à notre porte ;
Ouvrons aux deux enfants. Nous les mêlerons tous,

Cela nous grimpera le soir sur les genoux.
Ils vivront, ils seront frère et soeur des cinq autres.

Quand il verra qu'il faut nourrir avec les nôtres
Cette petite fille et ce petit garçon,
Le bon Dieu nous fera prendre plus de poisson.
Moi, je boirai de l'eau, je ferai double tâche, 

C'est dit. Va les chercher. Mais qu'as-tu ? Ça te fâche ? 

D'ordinaire, tu cours plus vite que cela.



- Tiens, dit-elle en ouvrant les rideaux, les voilà!"

Les pauvres gens, Victor Hugo

Unknown a dit…

Diantre je suis fier de ces commentaires...

Ana Sofia a dit…

C'est au son de la chanson "Les Neiges du Kilimandajaro" de Pascal Danel que j'écris ce petit commentaire pour confirmer que le film de Robert Guédiguian est un très beau film! :-)

Ana Sofia a dit…

C'est au son de la chanson "Les Neiges du Kilimandjaro" de Pascal Danel que j'écris ce petit commentaire pour confirmer que le film de Robert Guédiguian est un très beau film! :-)