05 octobre 2009

Le convoi des déportés tatoués

Edith, au camp de Royallieu

Ce week-end fut à la fois l’occasion d’honorer un rendez-vous avec mon histoire familiale et de résoudre un petit mystère grâce, il faut bien le dire, à un travail préparatoire de Dominique, historienne-internet hors pair.

Pour cela, il fallait rejoindre la lointaine Picardie. En effet, comme beaucoup de résistants arrêtés par les Allemands, mon grand-père, Edgard Ponthus, passa quelques semaines dans le camp de transit de Royallieu à Compiègne.

Il s’agissait donc d’investir quelques heures ces lieux où Edgard vécut avant de rejoindre l’enfer de la déportation.

Avec, d’emblée, un moment d’intense émotion quand Edith, sa fille, ma mère, débarqua en gare de Compiègne soixante-cinq ans après ce père qui avait à l’époque la moitié de son âge actuel et qu’elle ne revît jamais.

Mais le site du Mémorial de l’internement et de la déportation (inauguré en 2008… il était temps !) nous permit également de résoudre, au moins partiellement, une énigme. J’avais toujours été intrigué par le fait qu’Edgard, déporté résistant, soit envoyé après le transit directement à Auschwitz, le camp d’extermination généralement réservé aux déportés juifs voués aux chambres à gaz. Le parcours était d’autant plus insolite qu’un rapatriement en Allemagne fut promptement organisé dans les jours qui suivirent. Quand on connaît la précision tatillonne des fonctionnaires de la mort nazis, ce type d’anomalie est plutôt interpellant.

En fait, la réponse est collective et se trouve dans une des salles des baraquements aménagés du camp-mémorial. Edgard appartenait en fait au convoi du 27 avril 1944 que les historiens appellent « le convoi des déportés tatoués ». En effet, en parfaite contradiction avec la règle qui voulait qu’on n’envoyait pas les résistants dans des camps d’extermination mais dans des camps de « travail », mille six cent cinquante cinq pensionnaires de Compiègne furent expédiés à Auschwitz-Birkenau. Après quatre jours et trois nuits d’un hallucinant voyage, ils y arrivèrent le 30 avril et y furent tatoués des numéros 184 936 à 186 590 (186 255 pour Edgard), formalité odieusement caractéristique du camp polonais. Pourtant, quelques jours plus tard (le 12 mai), sans explication, ils furent rapatriés sur Buchenwald en Allemagne, puis, pour mille d’entre eux, à Flossenbürg, camp situé à la frontière tchèque, et où mon grand-père, affecté à un commando (le commando Janowitz), travailla dans une carrière quelques mois dans des conditions très difficiles pour un homme de quarante-cinq ans.

Les historiens se perdent en conjectures à propos de cette volte-face : erreur bureaucratique de l’administration SS des camps ? convoi refoulé d’Allemagne pour cause de surpopulation ? acte de représailles après l’assassinat du collaborateur Pucheu à Alger ? Aucune interprétation ne s’impose, faute de preuve.

Reste que les sept cent quatre-vingt-dix-huit survivants de cette dramatique aventure resteront solidaires après-guerre en créant une très active association : « Amicale des déportés tatoués du 27 avril 1944 ». Ignorant qu’Edgard avait fait partie de ce convoi, nous n’avons appris son existence que récemment.

Mon grand-père, décédé le 28 avril 1945, ne fera pas partie de ces rescapés. Robert Desnos, le poète surréaliste et compagnon d’infortune d’Edgard non plus. Ils mourront tous les deux du typhus. Mais le poète voit toujours plus loin que l’horizon et ses vers auront raison de la bête immonde en traversant nuit et brouillard, nacht und nebel, pour nous délivrer ce message d’amour :

(…) Sol de Compiègne !
Terre grasse et cependant stérile

Terre de silex et de craie

Dans ta chair

Nous marquons l’empreinte de nos semelles

Pour qu’un jour la pluie de printemps

S’y repose comme l’œil d’un oiseau

Et reflète le ciel, le ciel de Compiègne

Avec tes images et tes astres

Lourd de souvenirs et de rêves

(…)

Sol de Compiègne !

Un jour nous secouerons notre poussière

Sur ta poussière

Et nous partirons en chantant.


Nous partirons en chantant
En chantant vers nos amours
La vie est brève et bref le temps.


Rien n’est plus beau que nos amours.

Nous laisserons notre poussière
Dans la poussière de Compiègne

Et nous emporterons nos amours

Nos amours qu’il nous en souvienne

Qu’il nous en souvienne.

9 commentaires:

Claudio a dit…

Je ne sais pas quoi dire... La force du billet va crescendo et on finit trop chargé pour parler. Merci.

UpSideDown a dit…

Pareil, j'ai les larmes qui me piquent les yeux tellement c'est poignant ce post... et ce poème, bouuh... ça prend aux tripes...

Anonyme a dit…

Merci pour ce post et un gros bisou pour Edith. Dgé of Biot

Maurice Winnykamen a dit…

Quel bel acte d'amour filial d'une mère, fille du héros, et de son fils, que cette visite au camp de Compiègne. Ils volent au dessus du temps passé pour retrouver l'une son père et l'autre son grand-père, vieux militant disparu, dont ils poursuivent le combat.
Il fallait le secours de la poésie, la seule forme d'écriture qui dit tout en si peu de mots, pour donner tout le poids de l'angoisse rétrospective et de la nostalgie que j'ai senties monter crescendo dans ce texte.
Robert Desnos nous met la larme à l'oeil, c'est beau!

Anonyme a dit…

Gros bisous à Edith.

Clotilde a dit…

Gros bisous à Edith.

Anonyme a dit…

Bonjour à tous.
Pour qui est intéressé par le sujet, une page sur les tatouages à Auschwitz :
http://sonderkommando.info/lieux/auschwitz/tatouages/index.html

Anonyme a dit…

C'est très touchant. Il n'y a rien de plus atroce que d'être condamné à mourir pour sa Différence.
Il a fallu attendre 2007 pour que les Justes de France soient honorés au Panthéon, ces milliers de héros anonymes qui ont sauvé des enfants juifs de la mort au péril de leur vie, çà n'a rien à voir avec votre billet, mais je pense que votre grand-père et que votre père sont en quelque sorte, une autre forme de Justes parmi la Nation, mourir pour que vive l'espoir d'une France libre.

Anonyme a dit…

Bonjour, je suis fils d'un déporté tatoué, je partage votre émotion.
Pascal Domenech