10 septembre 2011

Le 11 septembre d'Edith



Edith, ma mère, 75 ans à l’époque, était à New York le 11 septembre 2001 dans le cadre d’un voyage « Art et Vie ». Quelque temps après, elle accepta de rédiger ce petit compte-rendu pudique.

« Mardi 11 septembre : il est environ 9 heures et nous montons dans le car qui nous attend pour nous faire visiter certains endroits de la ville. La guide est arrivée : c’est une Française mariée à un Américain. Je vois qu’elle discute longuement avec le chauffeur. Et elle nous annonce qu’il vient d’y avoir un terrible accident. Un avion s’est écrasé contre une tour et la tour est en feu ! Tout le monde est consterné. Elle nous dit qu’il doit y avoir beaucoup de morts et de blessés. Et pendant que chacun commente un peu, l’autre nouvelle nous parvient : une deuxième tour est touchée, et cette fois, il n’y a pas de doute : c’est un attentat. Là-dessus, la radio annonce qu’un autre avion s’est écrasé sur le Pentagone à Washington et qu’un autre est dans le ciel et qu’on ignore où il va. Plus tard, nous apprendrons qu’il est tombé : il était, paraît-il, prévu pour la Maison blanche.


Notre guide est complètement affolée, elle téléphone à son mari et se renseigne pour ses deux enfants qui sont à l’école. Le téléphone est déjà coupé, mais les portables fonctionnent encore un petit moment. Après plus rien ne passera. Le car démarre et nous allons voir une église, comme c’était prévu. Lorsque nous arrivons, l’église a été fermée. Tout a été fermé immédiatement : églises, musées, métro, ponts, tunnels, etc. Impossible de sortir de Manhattan.


Entre temps, nous apprenons que la première tour est tombée et qu’au moins trois cents pompiers sont dessous. C’est vraiment l’horreur, on se demande quand tout ça va s’arrêter. Il est midi, nous allons déjeuner dans un restaurant où tout le monde est scotché devant la télé. Nous n’avions encore rien vu et là, on constate l’étendue du désastre. Tous ces gens qui se sauvent devant les tours qui s’effondrent. J’ai oublié de dire qu’une demi-heure après l’attentat, toutes les églises se sont mises à sonner le glas. Toujours impossible de téléphoner. Je me doutais bien qu’à Nice mes proches étaient au courant et j’avais envie de les rassurer.


A 13 heures, alors que nous étions encore au restaurant – je n’ai pas pu avaler grand-chose ce jour-là –, la guide nous prévient que le téléphone est rétabli, peut-être pour peu de temps. Tout le monde se précipite pour acheter une carte et pouvoir téléphoner dans la rue où il y avait deux cabines. Je suis dans les premiers – heureusement ! – car après les lignes ont été à nouveau coupées jusqu’au soir. Lorsque j’ai entendu Dominique, ma belle-fille, et qu’elle pleurait, ça m’a vraiment remuée et j’ai été contente de pouvoir les tranquilliser. J’ai téléphoné peu de temps car tout le monde était dans mon cas et voulait prévenir sa famille. Mais après ça, j’étais quand même plus sereine, contente d’avoir pu enlever l’angoisse à ma famille.


Après – il fallait nous occuper – tout notre programme était bien sûr bouleversé. La guide nous a amenés à Central Park et nous nous sommes assis en rond autour de la plaque de John Lennon. Chacun y allait de son commentaire. Tout le long du parc, sur le trottoir, il y avait des dizaines de camions militaires les uns derrière les autres avec les soldats. C’était très impressionnant. Tout à côté, il y avait un grand hôpital et sur le trottoir extérieur des brancards étaient alignés. A ce moment-là, on pensait qu’il y aurait des blessés. Mais il n’y en a pas eu beaucoup. Tout cela dégageait un étrange climat, très impressionnant.


En rentrant à l’hôtel, j’ai regardé la télé, évidemment je voyais les images, mais j’ai vraiment regretté de ne pas comprendre l’anglais : beaucoup de choses m’échappaient. Inutile de dire que cette journée fut bien triste. Nous ne pouvions éviter de penser à tous ces morts. Nous nous retrouvions au salon de l’hôtel pour discuter. Dans ces cas-là, il y en a toujours qui sont au courant de tout… Ce soir du 11 septembre, vous dire que j’étais très vaillante pour aller me coucher au 16e étage serait un gros mensonge !


A la suite de ces événements, l’aéroport ayant été fermé, nous sommes restés quelques jours supplémentaires à new York.


De ces journées, je retiens surtout, que devant chaque caserne de pompiers, il y avait des monceaux de fleurs et de bougies. Les gens défilaient devant jour et nuit. Il y en avait une à côté de notre hôtel. Et dans les squares, éteint tendus de grandes bandes de tissus, avec des stylos pendus, permettant d’écrire dessus. Les photographies de disparus étaient nombreuses, exposées dans toute la ville. Ont-ils jamais pu les revoir ? Il y a eu si peu de survivants…


A Broadway, les spectacles continuaient : des places gratuites avaient été distribuées dans les hôtels, car, avec ce qui s’était passé, la foule ne s’y précipitait pas. Avant le début, un hommage a été rendu à tous les morts avec l’hymne national américain, la main sur le cœur. C’était poignant : toute la salle était debout et chantait. On sentait une vraie communion entre eux. Tout le monde avait les larmes aux yeux. »

Il y a quelques jours, elle a eu du mal à réprimer son émotion lorsque je lui ai présenté une photo de la petite mosaïque « Imagine » de Central park prise cet été. Dix ans déjà…

Sur le 11 septembre, voir aussi le blog de Dominique Boy Mottard.

7 commentaires:

Emmanuel a dit…

Au delà de la tristesse liée aux morts, c'est vraiment ce que l'on appelle vivre un événement historique en direct. Je pense que cela marque une persoone à vie et la perception que l'on a de cet événement doit se modifier au cours des années.
Merci Edith pour ce poignant témoignage.
Il ne faut pas non plus oublier l'autre 11 septembre (1973) celui du renversement illégitime et de l'odieux assassinat du grand Salvador Allende. Gloire à lui et ne l'oublions jammais.

Unknown a dit…

Tu as raison Manu,aussi tu peux lire sur ce blog un billet du 16 janvier 2006 intitulé "El pueblo unido jamas sera vincido..."

Anonyme a dit…

Le 11/09/2001…
Mesdames et Messieurs bienvenus sur le vol 0911 ; compte tenu de la longue durée de ce voyage, nous vous proposons un programme qui vous permettra de ne pas vous ennuyer ; tout d’abord, nous allons visionner un chef d’œuvre cinématographique, digne des plus grands scénarios surréalistes américains, des frissons et des larmes vous sont garantis ; pour vous restaurer nous avons prévu des barquettes de cuisine industrielle, à base de chair humaine bien sûr !
Le commandant et l’ensemble de l’équipage vous souhaitent un agréable voyage et vous remercient d’avoir choisi la compagnie MANYPULAT-MORON.

Désolée Monsieur, je descends de cet avion, je ne mange pas de cuisine industrielle vendue en tonnes dans des barquettes à des milliards d’individus…et surtout si elle contient de la chair humaine ; quant aux beaux films fantastiques, j’aime assez, mais seulement si c’est artistique….et pas autrement.
@.@

Anonyme a dit…

…J’imagine la détresse de Madame MOTTARD, c’est incroyable qu’elle est vécu cela en direct…le monde est moins grand qu’il n’y paraît. Le choc de ces images a été violent pour le monde entier ; personnellement j’ai déclenché plusieurs phobies suite à cet évènement tragique, que j’ai dépassé après plusieurs années, mais j’ai surtout pris conscience - d’une façon foudroyante - de notre vulnérabilité… c’est un traumatisme de l’humanité. Dix ans après, on continue à se demander comment une telle chose a-t-elle pu se produire dans l’état le plus puissant du monde…
@.@

Unknown a dit…

Sur le sujet voir aussi mon billet du 11-09-2007 "Le nouveau millénaire a six ans..."

Anonyme a dit…

Une chanson appropriée à ce tragique événement:
"Fragile" de Sting,
une très belle chanson...

Jean-Christophe Picard a dit…

Je me rappelle, ce jour-là, avoir passé un petit coup de fil, en fin de soirée, chez Patrick et Dominique, pour avoir des nouvelles d'Edith !

J'étais tombé sur Dominique qui m'avait rassuré.

C'était quand même pas de chance d'être là-bas, ce jour-là !