Dessin de Willem, Libération, 01/09/2008Poutine et le gouvernement russe sont en train de réussir là où Milosevic a partiellement échoué. Le communiste ripoliné en nationaliste voulait la Grande Serbie, l’ex-KGB devenu Premier Ministre par intérim rassemble sous contrôle russe les régions de l’ex-empire soviétique ayant une majorité russophone ou une ethnie russophile.
Certes, à propos de la crise actuelle dans le Sud Caucase, on peut soupçonner les Américains et « Doubleyou » de visées pétrolières (encore que s’efforcer de trouver une voie d’approvisionnement qui s’affranchisse de Téhéran et de Moscou me rassurerait plutôt… Pas vous ?), mais la réalité est là, implacable : ce qui se passe en Géorgie ces dernières semaines n’est ni plus ni moins qu’une déclinaison de la jurisprudence des Sudètes. Essayons au moins d’éviter Munich (n’est-ce pas Daladier-Sarkozy… ?).
Une telle politique expansionniste est insoutenable. Sur le plan humain, elle s’accompagne immanquablement de cette saloperie intégrale qu’est le nettoyage ethnique (si contagieux qu’après avoir été l’arme des bourreaux, il devient, un jour ou l’autre, celle des victimes. Souvenons-nous des Serbes de Krajina).
Cette politique est également d’une dangerosité extrême puisqu’elle met en péril l’équilibre du monde, en générant une chaîne ininterrompue de conflits. Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites. Aujourd’hui la Géorgie, demain la Moldavie avec la Transnistrie (voir «
Timisoara, ville ouverte »), la Biélorussie et surtout l’Ukraine avec, au nord du Dniepr, la moitié russophone du pays ainsi que la Crimée (voir «
La prise de Sébastopol »).
Et à terme, par un effet de contagion, ce sont tous les Etats multinationaux de l’est du continent qui peuvent être menacés. Notons au passage le cynisme des arguments du gouvernement russe : les principes qui soutiennent sa politique ne sont pas à priori réversibles, les Tchétchènes en savent quelque chose…
Cela dit, la gestion des minorités, héritage du machiavélisme stalinien, est un vrai problème. Les nationalistes géorgiens ou croates ne sont pas intrinsèquement meilleurs que les nationalistes russes ou serbes : ils sont simplement du bon côté de l’Histoire. C’est pour cela qu’il faut régler ces questions sans manichéisme.
Mais si une minorité est brimée voire niée dans le cadre d’un Etat national, il existe bien d’autres remèdes que la guerre impérialiste ou le nettoyage ethnique. J’en veux pour preuve ce qui s’est passé dans les pays baltes. En Estonie et en Lettonie (la Lituanie est moins concernée ave l’enclave de Kaliningrad) vivent de fortes minorités russophones (jusqu’à 40 % de la population). Après l’indépendance qui a suivi la chute du Mur de Berlin, les nationalistes de ces pays voulaient humilier ceux qu’ils considéraient comme leurs anciens maîtres en les transformant en citoyens de seconde zone. Cette politique, là aussi, aurait pu être un prétexte justifiant l’intervention du puissant voisin. Or, c’est à ce moment-là que l’Union Européenne a proposé un deal : adhésion contre abandon des politiques anti-russophones. Grosso modo, c’est ce qui fut fait et, malgré quelques difficultés résiduelles (la récente affaire de la statue en Estonie), plus personne n’envisage vraiment que les minorités russes de ces pays fassent appel au grand frère russe.
Dans le cas précis de la Géorgie, il faut aider les minorités non géorgiennes à trouver toute leur place dans le pays aux frontières reconnues et ne pas les encourager à créer une poussière d’Etats confettis fantoches « ethniquement purs ». Et c’est à l’ensemble de la communauté internationale et pas à la seule Russie que ce rôle doit être dévolu.
Si la Russie a un incontestable statut de puissance régionale, elle ne doit pas oublier que ce rang lui impose certaines responsabilités. Au lieu de multiplier les aventures militaires, Poutine ferait mieux de mettre la puissance et le prestige de son pays au service de la paix, en facilitant, par exemple, la réconciliation de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan (voir «
Mission au Haut Karabagh ») pour qu’à terme, ces deux pays puissent constituer, avec la Géorgie, une sorte de Marché Commun du Caucase Sud, gage de stabilité pour la communauté internationale et de prospérité pour les populations locales, Ossètes, Abkhazes et russophones compris.
Cela dit, dans cette région, rien n’est acquis, car la réalité est toujours beaucoup plus complexe qu’on ne le croit. Ainsi, me revient en mémoire une anecdote datant de la fin des années 70. Cet été-là, nous avions sillonné, entre Minsk et Kharkov, les routes de ce qui était encore l’Union soviétique. Et je me souviens encore de notre étonnement quand nous croisions des voitures (en nombre assez important) ayant sur leur pare-brise… un petit portrait de Staline. En fait, ces voitures étaient toutes immatriculées en Géorgie. A l’évidence, leurs propriétaires voulaient rendre hommage à joseph, l’enfant du pays. Un enfant du pays pas franchement acquis au principe des nationalités. Les Tatars de Crimée, par exemple, en savent quelque chose (voir «
Ils ont oublié les Tatars »).
P.S. l’une des colistières de Nice Autrement est d’origine ossète par sa mère : savez-vous de qui il s’agit ?