Que le débat engagé depuis quelques mois à propos de la réforme constitutionnelle se résume bien souvent en une controverse sur les dangers supposés de la présence du Président de la République dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale est affligeant.
En effet, d’après ses détracteurs, la mesurette qui permettrait cette présence serait une atteinte grave au principe de la séparation des pouvoirs, une vieillerie (1750 !) qui est considérée depuis longtemps comme un leurre par les gens sérieux. Chacun sait, en effet, que les véritables démocrates préfèrent donner un statut à l’opposition plutôt que de s’arc-bouter sur une théorie devenue obsolète dans des systèmes où le même parti contrôle le Législatif et l’Exécutif, le Parlement et le Gouvernement.
Le PS a curieusement pris la tête de ce combat d’un autre temps en faisant du retrait de cette disposition une des conditions à sa participation au vote de révision du Congrès. Il y a certainement beaucoup mieux à faire.
C’est ainsi que le projet de révision instaure un droit nouveau pour les citoyens français : la possibilité d’invoquer l’exception d’inconstitutionnalité devant une juridiction judiciaire ou administrative. Ce droit, en vigueur dans de nombreuses démocraties, permet à un citoyen de contester une loi qu’il estime non conforme à la Constitution au sens strict, mais aussi à la philosophie politique qui la sous-tend.
En clair, cette réforme ferait du Conseil Constitutionnel une institution incontournable de notre système politique puisqu’il serait habilité, à la demande des tribunaux saisis par les citoyens (*), à annuler une loi considérée comme contraire à l’éthique républicaine, même plusieurs années après sa promulgation. Ainsi, cette procédure nous mettrait de facto à l’abri des excès des majorités de circonstance.
Le Conseil Constitutionnel deviendrait alors le véritable contre-pouvoir que ne peut-être, sous la Ve République, le Parlement (le soi-disant renforcement du rôle du Parlement développé par le projet de révision est un autre leurre). Aussi, avec la mise en place de ce dispositif, ne serait-il pas exagéré de parler de… VIe République.
Pas exagéré, à une condition toutefois. A l’heure actuelle, le Conseil Constitutionnel est composé de neuf membres (trois nommés par le Président de la République, trois par le Président du Sénat, trois par le Président de l’Assemblée Nationale) et des anciens présidents (Valéry Giscard d’Estaing et Chirac… le retour !), c’est-à-dire, en 2008, un 10 à 1 (Pierre Joxe nommé en 2001 par le Président de l'AN) pour la droite qui a toutes les chances de se transformer en un 11 à 0 sans appel en 2010 (les membres du Conseil Constitutionnel sont nommés pour neuf ans). Ce qui est inacceptable quelle que soit la qualité des femmes et des hommes en place.
Par conséquent, il est urgent de se battre pour exiger un mode de désignation plus équilibré pour cette institution qui est appelée à jouer un rôle si important dans notre système politique.
Au lieu de s’enfermer dans de faux débats, le PS s’honorerait à mener ce combat. Cinquante ans après « Le Coup d’Etat permanent », ce serait l’occasion pour lui de faire son « coming out » institutionnel. Il serait temps.
(*) Concrètement, sur renvoi de la Cour de Cassation ou du Conseil d'Etat saisi par le tribunal judiciaire ou administratif auprès duquel l'exception aura été soulevée par le justiciable.
26 avril 2008
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6 commentaires:
Que c'est rafraichissant, l'analyse non-partisane ! Et en plus, on comprend tout.
L’AVANT-PROJET DE REVISION CONSTITUTIONNELLE : LE RAVALEMENT D’UN TEXTE ANACHRONIQUE.
Le gouvernement vient d’adopter un avant-projet de loi de révision de la Constitution. Il entraînera la modification ou le rajout de 30 articles. Mais il ne modifiera pas le régime lui-même. Les contradictions qui minent celui-ci, le présidentialisme qui le ronge toujours plus, demeureront. Pour autant il s’agit de prendre en considération les mesures qu’il contient pour mieux garder le cap de la République parlementaire.
On observera avant tout la révision à la baisse des intentions présidentielles, tout au moins telles qu’elles s’exprimaient dans la lettre de mission au comité Balladur le 18 juillet 2007. Il s’agissait alors de rien moins que de « prendre acte de l’évolution qui a fait du Président de la République le chef de l’exécutif ». Il convenait donc de « permettre (à celui-ci) d’exercer ses fonctions de manière transparente et naturelle ». C’était l’époque où le Premier ministre était ravalé au rang de simple « coordonnateur », où l’Elysée dictait directement aux ministres la ligne à suivre dans les différents domaines de l’action publique et où l’actuelle majorité s’inquiétait de l’avènement d’un régime présidentiel. L’avant-projet ne touche pas beaucoup à la lettre des textes concernant le gouvernement et le Premier ministre. Certes, celui-ci ne sera plus « responsable de la défense nationale » comme le dit l’article 21 ; il se contentera de « mettre en œuvre » les décisions du Président en la matière. C’est le champ confondu de la défense et de la sécurité où s’opère actuellement et silencieusement la plus forte concentration des pouvoirs présidentiels ; il reste totalement en dehors de celui de la réforme. Mais les articles 20 et 21 restent inchangés : ce sont ceux-là qui conservent les germes d’un système parlementaire où la responsabilité politique appartient au Premier ministre et à lui seul.
La contradiction majeure de la V° République restera donc entière. Elle sera peut-être même élargie dès lors que le Parlement gagne dans l’avant-projet, de nouveaux droits dans la triple mission qui lui est assignée par une nouvelle rédaction de l’article 24 :
Il vote la loi dans de meilleures conditions : le nombre des commissions permanentes est augmenté (de six à huit) ; et c’est sur la base des textes qu’elles adoptent, et non plus sur ceux du gouvernement que les assemblées les discutent dans des délais raccourcis (un mois après leur dépôt). La déclaration de l’urgence suppose l’accord de la conférence des présidents des deux assemblées laquelle fixe l’ordre du jour qui fait une très légère part supplémentaire aux textes de l’opposition. Le couperet du 49-3 (l’adoption sans vote d’un projet de loi) est réservé aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale ; et il est limité à un seul texte par session.
Il contrôle un peu mieux l’action du gouvernement et de l’exécutif : il émet un avis sur les nominations par le Président de la République aux emplois importants « pour la garantie des droits et libertés, les activités économiques et leur régulation ou le fonctionnement des services publics ». Il autorise une intervention armée seulement si celle-ci « excède six mois » après la décision du seul chef de l’Etat d’engager les forces. Il peut voter des résolutions en particulier sur des « projets d’actes législatifs européens, actes et documents émanant d’une institution de l’Union Européenne ». Il retrouve le contrôle de la ratification des traités d’adhésion ; le référendum voulu par Chirac passe à la trappe. Enfin, c’est une « commission indépendante » définie par le Parlement qui donnera un avis public sur le découpage des circonscriptions législatives et non plus le seul ministre de l’intérieur. Et la loi devra aider à l’avènement d’un statut de l’opposition qui reste bien flou.
Quant à l’évaluation des politiques publiques, voulue par le texte, en dehors de « l’assistance de la Cour des comptes », on ne trouve pas grand-chose de nouveau et rien en ce qui concerne le « droit de suite » du Parlement sur l’application des lois qu’il a votées. Toutes ces mesures sont d’évidence bien venues. Elles faisaient l’essentiel des propositions du Comité Vedel chargé en 1992 par François Mitterrand de réviser déjà la Constitution, ce qu’avait alors refusé la droite. Elles vont avec un aménagement de la fonction présidentielle de la même eau : limitation du mandat du Président à deux mandats consécutifs ; limitation, on l’a dit, de son pouvoir de nomination à des emplois « stratégiques » ; limitation du droit personnel de grâce soumis à l’avis d’une commission ;limitation de l’usage des pouvoirs de crise de l’article 16 à trente jours avant que le Conseil constitutionnel ne puisse intervenir ; abandon de la présidence du Conseil supérieur de la magistrature. Dans ce panorama, le nouvel article 18 qui donne un droit de « prise de parole » à la discrétion du Président devant le Parlement risque de faire illusion en fixant exagérément l’attention.
Le problème est en effet dans l’insuffisance des contre-pouvoirs et dans les déséquilibres du système :
Les contre-pouvoirs institutionnels que vise la réforme sont le Conseil constitutionnel et le Conseil supérieur de la magistrature. Le premier pourra enfin être saisi par les justiciables quand sera en question la conformité d’une loi avec les libertés et droits fondamentaux reconnus par la Constitution (encore une réforme enterrée par le Sénat en 1993). Mais rien ne change quant à la composition et désignation des juges. Le Conseil sera donc toujours une fausse cour suprême sous influence et c’est inacceptable vu le poids qu’il a pris dans notre système juridique et politique. Le CSM au contraire connaît une réforme de sa composition : le Président de la République et le garde des Sceaux disparaissent de sa présidence (bien que ce dernier puisse assister aux séances) ; le nombre de personnalités « n’appartenant ni au Parlement ni à l’ordre judiciaire » est doublé (de trois à six, plus un représentant de la profession d’avocat) ; leur mode de nomination de change pas sauf que la commission parlementaire prévue au nouvel article 13 pourra donner son avis. Il y aura pas mal à dire sur la portée de cette réorganisation. L’avant-projet semble innover en instituant un « Défenseur des droits du citoyen » nommé par le Président de la République ; il pourra être saisi par toute personne « s’estimant lésée par le fonctionnement d’un service public ». En fait il s’agit d’une pure et simple constitutionnalisation du Médiateur apparu en 1973. Mais elle pourrait bien servir à démanteler les deux organes collégiaux qui ont fait la preuve de leur indépendance : la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) et la Commission de déontologie de la sécurité. Enfin on cherchera vainement des ouvertures à plus de démocratie : certes le Conseil Economique et Social qui voit son champ élargi à la « préservation de l’environnement », pourra être « saisi par voie de pétition » défini par une future loi organique. On est très loin des conférences citoyennes telles que celle expérimentée sur les OGM en 1998 et généralisée en Scandinavie ou ailleurs. Quant au droit à référendum sur la ratification d’un traité relatif à l’adhésion d’un Etat à l’Union Européenne, il est purement et simplement supprimé. La dose de proportionnelle dans la représentation parlementaire a disparu comme le mandat unique. Une sournoise disposition apparaît à l’article 25 qui permettra à un parlementaire devenu ministre de retrouver son siège sans coup férir après son temps passé au gouvernement ; le Président de la République pourra ainsi élargir le cercle de ses obligés dans la majorité parlementaire.
Il n’y a donc pas de véritable rééquilibrage dans cette révision. Le problème de la V° République est dans l’irresponsabilité qu’elle organise et reproduit sans cesse. Tant que subsistera la coexistence d’une « présidence gouvernante » irresponsable et d’un chef du gouvernement responsable mais impuissant, la concentration du pouvoir au profit de la première se fera toujours plus forte et fera de la France un régime totalement exotique dans le concert des grandes démocraties. Les totems sont toujours là : le maintien intact au profit du Président du droit de dissolution de l’Assemblée Nationale, de son droit exclusif au référendum législatif, de l’autorité donnée par l’article 5 (l’arbitre du fonctionnement régulier des pouvoirs publics) que Mitterrand comme Chirac invoquèrent pour ne pas démissionner en 1986 et 1997 malgré le désaveu des électeurs. Evidemment pas une ligne nouvelle n’apparaît en ce qui concerne le « quatrième pouvoir » et le pluralisme de l’information, l’indépendance des rédactions, l’égalité audiovisuelle. Nous sommes en présence d’un toilettage de printemps de la présidence impériale : le ravalement sans doute opportun et qui a bien tardé d’un texte anachronique ; celui da la Constitution d’une France d’il y a cinquante ans, coloniale, rurale, hiérarchique, centralisée, hexagonale. L’acceptation d’une telle réforme n’est donc pas un problème en soi, moyennant quelques aménagements négociés dans le cercle de la raison parlementaire.
Mais est-ce là l’essentiel ? Il se pourrait alors que l’opération soit bien faite pour légitimer définitivement la pratique bonapartiste des institutions, comme toujours depuis 1958, au-delà des textes. Or la V° République n’aura soigné aucune de ses infirmités organiques qui nourrissent la crise de la politique aujourd’hui. Le vrai ménage constitutionnel voudrait que la France se mette au diapason du standard démocratique commun aux pays membres de l’Union Européenne, qu’elle simplifie et parlementarise son régime, qu’elle instaure la République gouvernementale. C’est la voie d’une société qui vit de l’expérimentation, de l’échange, de l’innovation, de la décentralisation de tous les pouvoirs de décision. Pourquoi donc ne pas l’inviter à la table du débat constitutionnel avec le support d’Internet et la sanction d’un référendum ?
Le débat sur le TCE en 2005 avait bien révélé un intérêt de masse pour une réforme d’institutions réputées complexes. C’est la voie d’une refonte de la démocratie représentative et d’une ouverture à la démocratie territoriale, non cumularde et participative. C’est celle d’une VI° République. Elle reste à ouvrir.
Paul ALLIES - Professeur à l’Université de Montpellier Vice-président de la Convention pour la 6° République
j'ai honte de devoir l'avouer, mais au 1er semestre il nous a été demandé en droit constitutionnel, de tenter de faire une réforme de la constitution et bien sur, je suis de ceux qui sont tombés dans le chaudron neu² de 1750, l'insoutenable atteinte au principe de la séparation des pouvoirs... Mais comment. c'est quoi ce Président qu'on voit partout? qui prend la place du 1er ministre, qui fait toutes les conf de presse, qui vient à l'AN... bla bla bla...
résultats: il faut revoir les pouvoirs du Président !!!! mpff...
Comme le dit Claodio, on comprend tout, tout de suite quand tu expliques... on sent le prof pas bien loin...
Juste une chose... pourquoi parler de VI république sous le "règne" Sarko vu qu'il a été très clair durant les présidentielles...? il n'y aurait pas de changement de république avec lui...
Tu vois Patrick je ne suis pas si feignante que ça, je révise mes examens et j'ai le temps de venir te lire.
Je découvre les commentaires avec surprise, parce qu'il y a deux semaines j'ai acheté le livre de Paul Allies...qui s'est révélé très instructif sur l'alignement progressif du PS aux institutions de la V ème. Je ne savais pas qu'il était prof dans ma fac.
Je rejoins Claudiogene j'apprécie l'analyse non-partisane.
Surprise quant au nouveau bloger !j'ai eu Paul Allies comme professeur a la faculté de Montpellier et sans aucune démagogie il était ma préférence...
Pénélope
Les principaux défauts de nos institutions sont :
-L’irresponsabilité du Président qui est le réel chef du gouvernement
-Le manque de représentativité du parlement
-Le statut insuffisant de l’opposition
Poussons alors la logique de Présidentialisation au bout mais en mettant en place un système à la fois présidentiel et parlementaire en s’inspirant de ce qu’avait suggéré Maurice Duverger pour réformer …la IV ème République !
1-Supprimons le poste de 1er ministre, le Président est le chef du gouvernement, actons le.
2-Elisons en même temps le Président et l’Assemblée nationale en maintenant le mode de scrutin actuel pour l’élection de cette dernière.
3-Rééquilibrons les pouvoirs entre l’Assemblée et le Président : Le Président peut dissoudre mais à condition de retourner en même temps devant les électeurs ; l’Assemblée peut censurer le Président mais à condition elle aussi de retourner devant les électeurs en même temps.
4-Elisons le Sénat au suffrage direct et à la proportionnelle pour que la représentativité des courants politiques et du pays soit réellement assurée par le Parlement, tout en maintenant comme dans le système actuel la possibilité de laisser le dernier mot à l’Assemblée.
5-Améliorons le statut de l’opposition et …oui autorisons la saisine par voie d’exception par les citoyens d’un conseil constitutionnel réformé dans sa composition.
allez…il n’est pas interdit de rêver !
Philippe FOIRET
Ancien Chargé de TD de la Faculté de Droit de Nice
…et ancien étudiant de Patrick Mottard
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