23 juin 2011

Les indignés de la décentralisation



Ce jeudi se déroulait la dernière séance plénière du Conseil Général 06 avant l'été. Au nom du groupe socialiste, radical et écologiste, j'étais chargé d'expliquer notre vote négatif sur le Compte Administratif 2010. Le CA est le document budgétaire qui retrace la gestion réelle du département sur douze mois.

L'occasion était belle de démontrer à travers ce dossier les effets dévastateurs de la politique du gouvernement en matière de décentralisation.

Ci-dessous, le texte de mon intervention :

Le premier indicateur du Compte administratif est le taux d’exécution des opérations réelles. Il traduit la bonne réalisation du budget voté au préalable. C’est un indicateur, à la fois, du réalisme du document initial et de l’efficacité de la politique d’exécution.

Force est de constater que ce taux est en recul considérable en ce qui concerne les investissements. Les recettes réelles d’investissement ont été exécutées à 77,32% contre 85,28% en 2009 et 95,8% en 2008. Cela signifie tout simplement que 75,3 millions d’euros n’ont pas été réalisés par rapport aux prévisions budgétaires 2010.

Ces chiffres ne sont pas anecdotiques, ils synthétisent une tendance lourde : celle qui conduit notre collectivité à être de plus en plus asphyxiée par les transferts de compétence relevant de l’acte II de la décentralisation dans un contexte où la fameuse règle de la compensation à l’euro près se révèle être un leurre. Un exemple : les routes transférées, et il aura fallu le rapport de CRC pour savoir que vos services chiffraient au 31 décembre 2009 à 4 115 083 € les titres de recettes impayés par l’Etat depuis 2007.

A ce titre, un autre chiffre est particulièrement significatif. C’est celui du pourcentage des dépenses de fonctionnement, en constante augmentation du fait des compétences nouvelles, par rapport aux dépenses d’investissement : il était de 64,5% en 2007, de 70,2% en 2008, de 72,1% en 2009 et de… 85,4% en 2010, ce qui constitue un bond de 21% en 4 ans.

En chiffrage absolu et non plus relatif, les dépenses d’investissement chutent de 31% entre 2009 et 2010 soit – 114,4 millions d’euros d’une année sur l’autre. Or, comme vous le soulignez à la page 3 du rapport de présentation, on assiste en 2010 à une reprise des recettes liées aux droits de mutation. Représentant encore 324 millions d’euros en 2008, ceux-ci s’étaient écroulés à 214 millions d’euros en 2009, avant de remonter la pente de plus de la moitié avec 289 millions en 2010.

Or, comme le rappelle le rapport de la Chambre régionale des comptes, la décélération brutale des recettes liées aux droits de mutation avait été compensée par un effort des familles qui avaient subi une forte augmentation des fiscalités locales. Du coup, on serait en droit d’attendre un geste qui tiendrait comte de cette embellie en desserrant quelque peu la pression fiscale. Mais il y a fort à parier que ce geste pourtant normal sera impossible car le rouleau compresseur de l’acte II de la décentralisation vous laisse peu de marge.

Ainsi, le RSA est en forte augmentation cette année encore, passant de 105,98 millions d’euros en 2009 à 119,3 millions d’euros en 2010 alors même que les recettes de compensation versées par l’Etat restent scotchées à 75,7 millions d’euros. Cette augmentation de 12,6% est donc assumée pour l’essentiel par notre collectivité.

Or, la persistance de la crise sociale dans notre pays et les fortes tensions sur le marché de l’emploi peuvent laisser supposer qu’après une augmentation de 16% en 2009 et de 3,5% en 2010, le nombre d’allocataires va encore croître.

On peut d’ailleurs faire à peu près le même constat avec l’APA : 118,23 millions en 2010 contre117,5 en 2009, même si, ponctuellement, l’augmentation est relativement faible cette année. N’oublions pas non plus la PCH qui passe de 18,3 millions à 22,44 millions.

Du coup, face à cette machine infernale, vous êtes obligé d’avoir recours à l’emprunt et le poids de la dette est pratiquement le double de celui des années 2005 - 2007. D’ailleurs, en 2009, avec 877,7 euros par habitant pour l’encours de la dette, les Alpes-Maritimes étaient loin en tête des départements de plus d’un million d’habitants dont la moyenne était de 421,74 euros. Votre compte administratif 2010 affiche aujourd’hui 885 € euros de dette par habitant.

Vous êtes surtout obligé de réduire la voilure des politiques pourtant socialement indispensables à notre population. En effet, si la réduction du budget de la politique des moyens généraux sur laquelle vous communiquez beaucoup est réelle (26,5 millions en 2010 contre 29,2 millions en 2009), son impact reste marginal sur notre budget. Même si, psychologiquement, elle est indispensable dans un contexte de crise.

Par contre, la politique Education passe de 81 à 55,5 millions, soit une diminution de plus d’un tiers. Et elle était encore de 93,5 millions en 2008. Pourtant, nous sommes là dans le noyau dur de nos compétences et le manque de moyens commence à se ressentir très fortement sur le terrain. C’est ce que je constate régulièrement, par exemple, au collège Vernier.

La politique du logement – dont on sait à quel point elle est nécessaire dans notre département pour les familles les plus modestes et le classes moyennes – se réduit comme peau de chagrin en passant de 35,1 millions en 2009 et 24,1 millions en 2010 soit – 27% (moins de 2% du budget).

La politique culturelle, en passant de 18,4 millions à 16,5 millions, est également en forte diminution, ce qui n’est pas sans poser de nombreuses difficultés sur le terrain aux acteurs et associations du secteur.

Notons aussi au passage, que le Plan jeunes, voté en grande pompe dans les années fastes, et qui n’était déjà plus que l’ombre de lui-même au BP 2010 n’est réalisé qu’à hauteur de 27%.

Le budget des ressources humaines est lui aussi en recul : 202 millions en 2009, 199,6 en 2010. Vous semblez revendiquer cette baisse. Pour ma part, je ne suis pas sûr qu’il faille s’en féliciter. A un moment où les compétences et les responsabilités du département sont de plus en plus nombreuses, la perte de plusieurs dizaines de fonctionnaires chaque année ne peut que réduire l’efficacité des politiques.

En réalité, ce Compte administratif est la traduction comptable de l’insatisfaction que nous rencontrons de plus en plus fréquemment sur le terrain, aussi bien du côté des fonctionnaires qui n’ont plus toujours les moyens d’accomplir leurs missions dans de bonnes conditions que des usagers de moins en moins satisfaits des services rendus.

En clair, vous êtes coincés par l’Etat. En transférant de nombreuses compétences sans compenser correctement, celui-ci oblige les collectivités à gérer a minima prestations sociales et services publics. En étant un peu trivial, on pourrait dire que l’Etat laisse faire le sale boulot aux collectivités locales.

Sans oublier qu’en plus la réforme fiscale nous enlève à peu près toute marge de manœuvre pour assumer éventuellement une politique innovante. De ce point de vue, le Compte administratif 2010 est historique : la part de la fiscalité directe passe en effet de 40,98% à 28,68%. On en a donc fini avec l’autonomie fiscale.

D’ordinaire, la session de juin combine le compte administratif et la première décision modificative du budget primitif qui a entre autre pour vocation la reprise du résultat de l’exercice antérieur. Vous avez prévu de reporter la DM1 à l’automne mais on sait déjà que le résultat de l’année 2010 qui s’élève à 25.9 M€, après couverture du déficit d’investissement, sera absorbé à hauteur de 21.3 M€ par le nouveau prélèvement sur le Droits de mutation.

Nos marges de manœuvre n’existent plus.

Puisque tout cela n’a pas interpellé le parlementaire en vue de la majorité que vous êtes, cela devrait au moins interpeller le chef de l’exécutif. Puisque la mode est à l’indignation et aux indignés, je vous suggère de réunir vos collègues des autres départements (je pense particulièrement à la Saône-et-Loire) et de vous rendre sur la place Beauvau en face du ministre de l’Intérieur pour planter la tente des indignés de la Décentralisation.

Car si on continue sur cette voie, on peut dire sans grand risque que le compte administratif 2011 sera encore pire et que, petit à petit, notre collectivité ne sera plus qu’un guichet chargé de gérer la pénurie. Comme je suis persuadé que cette perspective ne vous emballe pas, eh bien, faites comme nous, stoppez cette dérive mortifère pour la décentralisation et ne votez pas ce CA 2010.


Article de Nice-Matin du 24 juin 2011



3 commentaires:

Emmanuel a dit…

Et encore une fois de plus c'est l'Education qui fait les frais de ces économies drastiques. Y a-t-il d'autres politiques possibles dans ce contexte ou bien alors sommes nous vraiment menacés par le syndrome grec de la banqueroute ?

alaind a dit…

Je n'ai pas tout assimilé de ces chiffres mais l'essentiel colle avec mes constats de terrain. On joue une sortie de crise, mais c'est du théâtre, de la gesticulation, il n'y a plus de budget, on chiffre, et des groupes nationaux se couchent sous les prix, à tout prix, une politique de l'autruche. Puis, ces prix compressés deviennent des références sur lesquels les marchés devront s'aligner. Des groupes coulent délibérément des activités PME de régions entières en pratiquant, sur directives aux ramification internationales, des tarifs au rouleau compresseur. Ensuite, alors que les directives de la RT2012 et autres sujets phares de bâtiments BBC ordonnent des "valeurs ajoutées" pour les réalisations, on rédige des hypothétiques projets que personne ne pourra financer et réaliser correctement, et techniquement à sa juste valeur. Enfin, de multiples projets "à procédures adaptées" fleurissent, et après parfois 40% de chute sur les estimation des économistes, repassent en "négociations" dans un climat de marchés aux bestiaux. Même les architectes sont dégoûtés, il n'y a plus personne de motivé, tout est un théâtre dramatique, où les "relations" priment, et où les codes des marchés publics sont allègrement "contournés".

alaind a dit…

 Nouveau dans le BTP, des entreprises pratiquent des prix encore plus bas, et ceci par une astuce qui consiste à employer des travailleurs handicapés ou en clause d'insertion. Bon, sur les chantiers, peut être que certains perdront moins de temps en bavardage, mais, toutefois, il me semble que le message initial n'était pas de faire moins cher que le moins cher, mais de pratiquer une politique d'insertion. Il me semble que dérive ici, une clause de confidentialité d'une part, et d'autre part une porte ouverte à l'exploitation d'une main d'oeuvre bon marché(à moins d'un subliminal arrivage de l'application de la loi).Or voici les ordres de rédaction dans les pièces de consultation des entreprises:


"En cas de clause d'insertion sociale appliquée au présent lot, l'entreprise chiffrera ce poste. ens 1
Ce poste, inclus dans le prix global et forfaitaire, représente le coût pour l’entreprise de l’accompagnement de l’emploi d’insertion et du tutorat. Il peut être chiffré sous la forme d’un forfait." 

Ces termes mettent en exergue une pratique, dont je ne sais quoi penser, mais dont des exemples flagrants montrent des sous enchères inquiétantes. Sans qu'il soit question de qualité de réalisation, il demeure d'une part une limitation dans le temps de ces subventions pour chacun des partis, et d'autre part incidemment une concurrence qui peut être parfois frauduleuse et déloyale, et exploitée par ailleurs dans le cadre du post précédent et la sous traitance.